Espace de libertés | Mai 2021 (n° 499)

Des déclassés aux coupables


Édito

Alors que nous bouclions ce numéro est survenu un événement qui illustre encore plus profondément le malaise éprouvé depuis un certain temps et qui nous a suggéré le dossier de ce magazine consacré à notre société malade de ses clivages. Ce malaise provenant du constat que nous vivons dans un monde où l’on se cherche toujours plus un bouc émissaire, un.e coupable providentiel.le, pour apaiser nos frustrations. Parmi ceux-ci, les jeunes, même si ce ne sont pas les seuls, ont été érigés en groupe coupable idéal. Ils font la fête alors que les aînés se meurent, ils ne respectent pas les règles sanitaires alors que d’autres s’échinent à nous soigner. Une bonne charge de cavalerie et tout cela rentrera dans l’ordre. Vraiment ?

Cela fait furieusement penser aux violents démantèlements des camps de réfugiés à Calais ou au cœur de Paris. Cachez-nous ces déclassés que nous ne pouvons voir ! Bien entendu, personne ne souhaite un camping géant au cœur de la « plus belle ville du monde ». Personne ne peut supporter non plus qu’une vie jeune vaille davantage qu’une plus âgée. Mais comparaison n’est pas raison. Et l’opposition, pas la solution. La violence d’État n’occulte pas les failles, le manque de solutions ou de perspectives, qui poussent des groupes de populations à sortir des clous. Là réside le malaise éprouvé face aux images de violence qui émanent de l’assaut des forces de l’ordre en vue de déloger les jeunes (et les moins jeunes d’ailleurs) qui se sont rendus à La Boum du bois de la Cambre. Si l’on analyse le phénomène rationnellement, ces quelque 3 000 personnes rassemblées en extérieur ne seraient pas véritablement source d’une potentielle contamination à large échelle, selon les scientifiques. Les forces de l’ordre sont donc intervenues pour l’exemple, parce que les règles n’ont pas été respectées. Mais à côté de cela, la population fait elle aussi le décompte du contrat social qui n’est pas observé par le même État qui reporte régulièrement la responsabilité de la situation sanitaire sur certains de ses citoyens, alimentant de la sorte cette tendance à créer une « société des coupables ».

Dans le cas d’espèce, comment se fait-il que notre État sécuritaire ne soit toujours pas à même de dénicher en amont, sur la toile la plupart du temps, les groupes ou les individus susceptibles de manipuler les foules et les esprits, à des desseins parfois sombres ou destructeurs ? Où sont les mesures qui permettraient de renforcer la cohésion en fonction de la réalité et non des vagues ou de l’impératif du moment ? Où sont les renforts nécessaires au sein du secteur médical, à la hauteur des objectifs à rencontrer ? Des millions ont été dégagés pour soutenir les secteurs touchés par les fermetures. Particulièrement ceux bénéficiant d’une fédération assez puissante pour déployer un lobbying efficace. Ce n’est pas le cas pour tous, et là encore, le clivage se marque.

Les réponses ponctuelles à l’urgence ne peuvent constituer l’unique modèle de gestion d’une crise. L’urgence, c’est l’imprévu. Un an après, ce n’est plus de l’ordre de l’imprévu. C’est un manque d’anticipation, de vision et de choix des priorités vitales.