Pour tenter de rejoindre l’Europe depuis l’Afrique, les migrants sont nombreux à quitter la terre ferme depuis le sol marocain ou tenter d’escalader les hautes barrières garnies de barbelés séparant le pays des enclaves espagnoles. Certains, découragés, finissent par rester. D’autres arrivent au Maroc avec le projet de s’y installer.
C’était le choix de Christine1, réfugiée au Maroc. Elle a quitté son pays, le Cameroun, persécutée en raison de son orientation sexuelle. Victime de viol sur la route, elle a donné naissance à son fils en Algérie. « Le Maroc avait meilleure réputation que les pays que j’ai traversés, alors j’ai pensé y rester. Mais je n’y étais pas en sécurité, j’étais poursuivie par des gens de mon pays. » Christine embarque alors sur un bateau de fortune, direction l’Europe. « Le moteur s’est noyé en pleine mer. J’ai vu la mort, même lui a vécu ça », raconte-t-elle en désignant son fils. Elle est retournée à Rabat et a demandé l’asile. Elle a obtenu le statut de réfugié en juin dernier.
De plus en plus de réfugiés s’installent au Maroc
Plus de 50 % des réfugiés et personnes sous la protection internationale du Haut commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) au Maroc ont fui une guerre ou un conflit armé. Ils viennent majoritairement de Syrie, du Yémen, de République centrafricaine, de Côte d’Ivoire, de la République démocratique du Congo (RDC), d’Irak, du Cameroun, de Palestine, du Sénégal et de Guinée. « La RDC produit à la fois des migrants économiques et des réfugiés, du fait de la situation volatile en matière de droits de l’homme », explique Jean Paul Cavalieri, représentant du HCR au Maroc. « Dans ce cas, il est donc essentiel d’aller dans le détail des demandes d’asile pour déterminer si les causes sont fondées ou pas. »
Au 1er septembre 2018, le HCR dénombrait 7 174 réfugiés et demandeurs d’asile. « En termes de tendance, on peut considérer qu’il s’agit d’un nombre peu élevé, mais il est malgré tout en évolution constante, puisqu’il a augmenté de 300 % sur les 4 dernières années », analyse le représentant du HCR.
Le nombre de réfugiés a augmenté de 300 % en 4 ans au Maroc. © Armend Nimani/AFP
Comment expliquer cette croissance ? « Au Maroc, il existe pour les réfugiés une alternative réelle au passage des frontières qui est bien plus dangereux et cher », déclare Jean Paul Cavalieri. « Les statistiques révèlent que de de plus en plus de réfugiés s’installent sur le long terme au Maroc. La durée du séjour s’étend au fur et à mesure que des solutions de protection et d’assistance sont mises en place. On retrouve des réfugiés sur tout le territoire marocain. Le pays exerce une politique migratoire d’asile responsable et qui a su créer un espace de protection, qui n’existe pas nécessairement dans la région. »
Un pas en avant, un pas en arrière
La SNIA, ou « Stratégie nationale d’asile et d’immigration », a été lancée en septembre 2013, sous l’impulsion d’un rapport2 du Conseil national des droits de l’homme. Au programme, un projet ambitieux : régulariser les étrangers en situation administrative irrégulière, promouvoir l’intégration des personnes régularisées, et mettre à niveau le cadre juridique relatif à l’immigration, l’asile et la lutte contre la traite des personnes. Depuis lors, la loi sur la traite a été promulguée et deux périodes de régularisation exceptionnelles ont eu lieu, permettant la régularisation de plus de 23 000 personnes en 2014 et le dépôt de plus de 28 000 dossiers en 2017. Des avancées en matière d’accès à la santé, à la scolarisation des enfants étrangers et au marché du travail ont été constatées. Mais le chemin est encore long. Certaines mesures peinent à être mises en œuvre.
« Pour les enfants, l’inscription à l’état civil n’est pas toujours garantie, et cela leur complique l’accès à la scolarisation », explique le coordinateur de la Plateforme nationale de protection des migrants (PNPM)3 Younous Arbaoui. « L’intervention des associations membres de la plateforme est nécessaire pour faire la médiation. Certains migrants ont des difficultés d’accès aux centres de santé. Et concernant l’accès au marché du travail formel, il se trouve limité sans carte de séjour. »
Depuis mars 2017, les personnes reconnues réfugiées par le HCR n’obtiennent plus de carte de séjour. Auparavant, une commission interministérielle auditionnait les réfugiés référés par le HCR afin de valider son l’obtention. « Pourquoi cela a été suspendu ? On ne le sait pas, aucune raison claire ne nous a été donnée. Cela marchait très bien », reconnaît le représentant du HCR. Si les réfugiés et demandeurs d’asile sont toujours protégés des arrestations grâce aux documents du HCR, ils ne peuvent pas signer de contrat de travail. Ils risquent alors de se livrer à des activités illégales, et la menace de travail précoce chez les enfants est accrue. « C’est un paradoxe douloureux, étant donné que le ministère chargé des affaires de la migration travaille main dans la main avec le HCR pour sensibiliser le secteur privé à être ouvert à l’emploi des réfugiés », déplore Jean Paul Cavalieri. « C’est toute la SNIA qui perd en crédibilité, alors qu’il y a beaucoup d’acquis. » Sans perspective de travail, les réfugiés risquent de perdre espoir et de renoncer à s’installer au Maroc.
De pays d’émigration à pays d’immigration
Longtemps pays d’émigration, le Maroc est devenu un pays de transit mais également d’immigration. « La grande majorité des migrants subsahariens a comme destination le Maroc », révèle une étude réalisée en 2016 par l’Université internationale de Rabat (UIR)4. « De ce point de vue, les politiques européennes de restriction drastique de l’immigration ont bien un impact : elles détournent partiellement les flux migratoires lorsqu’il existe un objectif substituable », écrit l’équipe de chercheurs. Malgré des conditions de vie parfois difficiles, force est de constater que la durée des séjours s’allonge. Qu’en dépit de déceptions, l’espoir fait germer des rêves d’installation dans les têtes des réfugiés, demandeurs d’asile, travailleurs migrants et étudiants étrangers.
C’est le cas d’Ahmed, originaire du Yémen. Il prend l’avion début 2015 pour poursuivre ses études au Maroc et y effectuer un Master en linguistique. Quelques mois plus tard, le lancement d’une opération militaire l’empêche de rentrer au Yémen. Il obtient une carte de séjour en tant qu’étudiant (il est à présent doctorant) et dépose une demande d’asile quand le conflit perdure. « Cela n’a pas été trop difficile pour moi de m’intégrer ici, car la population marocaine n’est pas très différente de la population yéménite », explique Ahmed. « Au départ, il y avait des problèmes de communication, mais cela s’est atténué avec le temps car j’ai appris à parler le darija (dialecte marocain). On me prend même pour un Marocain ! » s’amuse-t-il.
Longtemps pays d’émigration, le Maroc est devenu un pays de transit mais également d’immigration.
Le parcours de Camara, Guinéen, est différent de celui d’Ahmed. « J’ai quitté mon pays parce que je voulais continuer mes études et chercher un travail, pour aider ma famille », commence le jeune homme. Ses diplômes en poche, il a entamé un long périple. « Mon choix, c’était de payer le billet d’avion et atterrir au Maroc, c’est tout. Mais un ami m’a encouragé à prendre la route, sans me parler des difficultés. Si j’avais su… Tu ne peux pas imaginer », se souvient Camara. Il est arrivé au Maroc un peu avant le lancement de la première période de régularisation, ce qui lui a permis d’obtenir rapidement sa carte de séjour. « J’ai essayé de reprendre mes études mais je n’avais pas assez de ressources financières pour assurer mes besoins quotidiens. J’ai voulu chercher un travail mais c’était compliqué. Tout le monde ici n’accepte pas de travailler avec les Subsahariens, à cause du racisme. » Découragé, il a essayé, par trois fois, de se rendre en Espagne, à Melilla. Il y a fracturé son pied en tombant des barrières qui dessinent la frontière, atteint par des projectiles envoyés par la Guardia Civile espagnole et les forces auxiliaires marocaines. De retour dans la capitale pour se soigner, il a trouvé un travail dans le milieu associatif. « Je me suis dit : pourquoi risquer ma vie, pourquoi ne pas rester et chercher à m’intégrer ? J’ai la carte de séjour et des contacts au Maroc. Aujourd’hui, je ne veux plus voyager illégalement. »
Selon les conclusions de l’étude de l’UIR, la majorité des migrants subsahariens au Maroc n’est pas entrée de manière clandestine. Il s’agit le plus souvent d’une migration légale, venue en avion. Mais cette réalité ne peut en cacher une autre, celle des souffrances vécues sur le chemin de l’exil et sur le territoire du Maroc par de nombreux migrants. À l’heure où l’Europe renforce son approche sécuritaire de gestion de la migration, le Maroc se doit de cristalliser les acquis des cinq dernières années et de mettre en œuvre ses engagements concernant le respect des droits des migrants. « Il faut reconnaître que les choses ont beaucoup changé depuis que je suis arrivé. De plus en plus de migrants trouvent du travail. Malgré les difficultés, je me rends compte que la vie est possible partout », sourit Ahmed.
1 Utilisation de prénoms d’emprunt.
2 « Étrangers et droits de l’homme au Maroc : pour une politique d’asile et d’immigration radicalement nouvelle », CNDH, 2013.
3 Plateforme de plaidoyer composée de 13 organisations membres qui travaillent pour la promotion et la protection des droits des personnes migrantes au Maroc.
4 L’étude « Les migrants subsahariens au Maroc : enjeux d’une migration de résidence », réalisée en 2016 par l’Université internationale de Rabat avec le soutien de la Fondation allemande Konrad Adenauer.