Espace de libertés | Avril 2020 (n° 488)

Les balles de la discorde (Angélique Kourounis)


Opinion

Depuis le début de la crise migratoire, rien ne va plus entre la Grèce et la Turquie, deux membres alliés au sein de l’OTAN. La guerre de propagande bat son plein. Témoignage depuis le terrain d’Angélique Kourounis, reporter pour différents médias européens.


« Blocs de béton, tranchées, énormes projecteurs, barrière de barbelés qui passe de 12,5 à 40 kilomètres, patrouilles renforcées le long de la frontière terrestre et maritime, mais aussi patrouilles militaires mixtes avec les agents de la Frontex, l’Agence de surveillance des frontières extérieures de l’Europe, Athènes se barricade par tous les moyens face à la nouvelle crise migratoire orchestrée par Ankara. Côté turc, on accuse, vidéos à l’appui, la Grèce de tirer à balles réelles sur les candidats à l’exil – sur la frontière terrestre le long du fleuve Évros, constituant la limite naturelle entre les deux pays ennemis –, de harponner les canots pneumatiques des migrants qui veulent rejoindre les îles et de tirer dans un même temps sur leurs zodiacs pour couler les embarcations. Côté grec, on accuse Ankara d’instrumentaliser les réfugiés en les amenant sur la frontière, de les armer de gaz lacrymogènes et de les pousser à la franchir à l’aide de cisailles qui leur sont fournies et de les empêcher de rebrousser chemin quand ils se rendent compte que, quand bien même ils passeraient, ils seraient renvoyés en Turquie, dépouillés et battus. Enfin, cette dernière est aussi accusée de harceler en mer les vedettes des gardes-côtes grecs afin de créer un accident mortel qui mettrait le feu aux poudres. Problème : les vidéos fournies par Ankara n’ont pu être authentifiées par aucune agence de presse. Il y a bien eu au moins un mort et deux blessés sur le fleuve Évros par des balles tirées côté grec, mais la frontière est tellement floue qu’il est impossible de savoir qui a tiré : l’armée grecque, l’armée turque ou les nombreux groupes paramilitaires grecs ?

Seule une autopsie, qui prouverait l’origine des balles, pourrait déterminer les coupables. Mais il n’y en a pas eu. Ce que nous avons vu, en revanche, côté grec, ce sont des groupes paramilitaires – dont certains sont soutenus par le groupe néonazi grec Aube dorée –, effectuer des patrouilles armées musclées “pour aider l’armée”. Des membres qui y participaient nous ont confirmé qu’une fois arrêtés, ceux qui étaient pris étaient amenés à un point de rendez-vous, puis renvoyés en Turquie.

Nous avons également vu dans les poubelles du poste de police de Neo Chimonio, à Évros, beaucoup de chaussures usagées qui prouveraient la pratique illégale de confiscation des souliers des migrants, avant de les renvoyer. Interrogée, la police grecque nous a affirmé “ne pas être au courant de ces pratiques”. Par contre, le gouvernement grec – qui nie les accusations turques – a reconnu qu’il est possible que des balles en plastique aient été utilisées. »