« L’intuition que notre famille souffrait de stress identitaire m’est venue vers 20 ans, sans que je puisse définir précisément les contours de ce mal. » Après Les Oreilles des éléphants, dans lequel il dressait avec finesse et subtilité le portrait d’une famille bourgeoise « parfaite », modèle indépassable de réussite, Jean-François Füeg poursuit ici son immersion dans la mémoire familiale. Il décrit cette fois encore les origines populaires et immigrées occultées avec opiniâtreté, le désir d’assimilation exacerbé. Mais, surtout, il nous révèle sa découverte du mensonge fondateur du récit de vie d’Annie, sa mère. Au-delà de son désir d’escamoter des origines honnies, elle s’inventa une identité fantasmée afin de surmonter un échec jugé inavouable. Une mystification probablement élaborée dans le but de correspondre aux attentes supposées du milieu qu’elle souhaitait tant intégrer. Avec, sans doute, comme corollaire, la crainte chevillée au corps d’être un jour démasquée. « Elle qui mettait une énergie de tous les instants à nier ce qu’elle était, allait pas-ser sa vie à prétendre être ce qu’elle n’était pas. » Que faire lorsque l’on met à jour l’imposture, le secret opiniâtrement dissimulé ? Chacun répondra à sa manière. Par le choix de l’écriture, geste libérateur entre tous, l’auteur nous invite à partager le cheminement intime de sa découverte, mais aussi les questions universelles qui y sont liées. Comment la transmission – ou plutôt ici, l’absence de transmission – influe-t-elle sur les relations familiales ? Que transmettrons-nous à nos enfants ? Comment se raconte-t-on ? Dans quelle mesure notre existence est-elle influencée par celle de nos parents ? Que faire de ce bagage familial parfois si lourd ? Et surtout, comme l’indique Dominique Costermans, en postface, que faire de l’héritage biaisé transmis par un parent mytho-mane ? Autant de questions auxquelles Jean-François Füeg apporte sa réponse personnelle dans ce récit prenant. (ac)
Des idées et des mots