Espace de libertés | Avril 2020 (n° 488)

Mexique : quand le « développement » nuit à la vie


International

Sous la devise « Oui à la vie, non à la mine », les communautés autochtones au Mexique s’opposent à des mégaprojets d’exploitation minière. Le but  : pouvoir définir et poursuivre leur propre modèle de développement économique, social et culturel. Et pas celui que l’État mexicain leur impose.


Après un litige qui a duré cinq ans, la communauté autochtone Capulálpam de Méndez à Oaxaca a remporté une victoire historique en octobre 2019 : le tribunal a annulé les concessions minières sur leur territoire en reconnaissant les origines ancestrales de la communauté. Malgré cela, les sociétés minières concernées poursuivent leurs activités d’exploration et d’extraction, après avoir contesté la décision. Selon les dirigeants communautaires, ces entreprises opèrent maintenant dans l’illégalité1.

Le cas de Capulálpam est symbolique : il illustre la dure lutte des peuples autochtones et communautés agricoles au Mexique qui tentent de protéger leurs territoires des projets extractivistes nuisibles à la vie. Ils résistent à un modèle de développement économique qui priorise l’extraction de ressources naturelles à grande échelle et qui est orienté vers l’exportation de matières premières. Un modèle extractiviste qui ne tient pas compte de la pollution et de la dégradation des ressources naturelles, des évictions forcées et de la dépossession des terres, ainsi que du climat de violence et de répression qui résultent de ces activités.

Sans consultation préalable, libre et éclairée

En 2015, Capulálpam de Méndez a introduit recours en amparo2 afin de recevoir la protection de la justice mexicaine face à la menace des concessions minières pour l’exploitation d’or et d’argent. L’argument utilisé se base sur les obligations internationales du Mexique en matière de droits humains : les concessions ont étés accordées sans consultation de la communauté agricole, et donc sans respecter la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Cette convention protège les peuples et communautés autochtones en reconnaissant leur droit à des consultations préalables, libres et éclairées.

Mais, le tribunal a annulé les concessions octroyées sans cette consultation. Et l’impact des travaux déjà initiés est irréversible : rivières polluées, treize sources asséchées et les autorités autochtones ont dû trouver d’autres solutions pour fournir de l’eau à la population. Rappelons-le, la vie de ces peuples dépend de leur accès aux ressources naturelles, et notamment de leurs rivières et sources d’eau pour se nourrir et faire pousser leurs cultures.

Au nom du développement

Comme d’autres pays d’Amérique latine, depuis les années 1980 le Mexique est sujet à une série de réformes légales et constitutionnelles visant la libéralisation économique du pays, et concrètement l’expansion de mégaprojets d’investissement. La réforme de la Loi minière en 1992 a constitué un point décisif : depuis, les entreprises transnationales pourraient participer aux activités extractives. L’article 6 de cette loi, point conflictuel avec l’exercice des droits à la terre et aux ressources naturelles par les communautés, considère l’exploitation minière comme « d’utilité publique » et, par conséquent, permet de prioriser l’exploitation de la terre sur les droits des propriétaires ancestraux de celle-ci.

Activist Angelica Maria Gonzalez looks at El Tezoyo quarry -where tezontle and other stones are extracted for the construction of the new international airport of Mexico City- in La Concepcion village, Tezoyuca municipality, Mexico State, Mexico, on July 31, 2018. - Residents demand the closure of the quarry since the constant detonation of rocks is causing damage in nearby houses. (Photo by Pedro PARDO / AFP)

Au Mexique, comme dans toute l’Amérique latine, une vive tension existe entre les populations autochtones et les grandes exploitations minières. © Pedro Perdo/AFP

Au niveau politique, le raisonnement derrière la défense de ce modèle extractif s’articule sur un argument classique : le développement. Moteur de développement local et national, les activités extractives favoriseraient la création d’emplois et viseraient à augmenter la qualité de vie des communautés concernées.

Un modèle qui promeut la spéculation

Malgré le manque de transparence dans le secteur de l’exploitation minière, le résultat des politiques de libéralisation est constatable. Entre 2010 et 2018, le nombre de projets miniers a doublé de 667 à 1 5313. Cela pourrait nous surprendre, 92 % des sociétés qui ont un permis d’exploitation du territoire sont étrangères, parmi lesquelles 70 % sont canadiennes. Pourtant, 56 % des projets en cours d’exécution sont mis en place par des sociétés mexicaines4. La logique de la spéculation explique ces chiffres : de grandes surfaces de territoire sont allouées à des petites sociétés de capitaux étrangers, afin que celles-ci sélectionnent les zones les plus rentables pour les vendre à d’autres sociétés, qui à leur tour vont procéder à l’exploitation minière.

Le prix de la défense du droit à la terre

Les études indiquent qu’entre 2000 et 2012, les communautés autochtones ont perdu le contrôle sur 7 % de leur territoire à la suite de l’accord de concessions minières seulement entre 2000 et 2012. Parmi les vingt-neuf conflits existants relatifs aux activités extractives documentés en 2014, 28 % concernent des peuples ou communautés autochtones5.

Quand le conflit s’installe, ce sont les habitants qui en payent le prix. La violence envers les individus qui se prononcent ouvertement contre les activités minières est effrayante : la criminalisation, les attaques physiques, les campagnes de diffamation constituent les principaux schémas d’agression. L’impunité, le manque d’accès à la justice et le crime organisé s’ajoutent à ces facteurs.

Selon les Nations unies, ces populations ne possèdent pas les moyens juridiques nécessaires pour faire reconnaître leurs droits à la terre, qui ne sont pas accessibles et peuvent entraîner de longues procédures judiciaires. C’est précisément pendant les périodes d’attente d’une décision que beaucoup de communautés font face à des représailles, à des déplacements forcés ou à des assassinats dans les cas les plus dramatiques.

Pour les communautés autochtones et agricoles du Mexique, refuser les mégaprojets d’exploitation minière imposés par l’État depuis les années 1980 est une question de survie. Cette résistance transcende la lutte pour la terre ou les ressources, leur but étant d’obtenir la reconnaissance de leurs droits humains comme expression fondamentale de leur libre détermination.


1 Miguel Maya Alonso, « Histórico fallo contra concesión minera en Calpulálpam de Méndez, Oaxaca », mis en ligne sur https ://imparcialoaxaca.mx, le 12 février 2020.
2 Mécanisme juridique qui permet aux particuliers d’exercer une requête directe en contrôle de constitutionnalité, NDLR.
3 « Anuario 2018 : Las actividades extractivas en México. Desafíos para la 4T », mis en ligne sur https ://fundar.org.mx, le 20 août 2019.
4 « Conflictos mineros en América latina : extracción, saqueo y agresión », mis en ligne sur www.ocmal.org, 27 mai 2019.
5 Laura R. Valladares de la Cruz, « El asedio a las autonomías indígenas por el modelo minero extractivo en México The Siege of Indigenous Autonomies Due to the Extractive Mining Model in Mexico », dans Iztapalapa. Revista de Ciencias Sociales y Humanidades, no 85, juillet-décembre 2018, mis en ligne sur www.scielo.org.mx.