Espace de libertés | Octobre 2020 (n° 492)

Coup de pholie

La sortie chaotique du confinement suscité par la pandémie de Covid-19 aura confirmé ce que chacun soupçonnait déjà : continuer à placer de l’espoir en l’humanité relève de la douce folie plus que de la lucidité. Le spectacle des crêpages de chignon – allant jusqu’à la violence physique – qui ont opposé certains individus refusant de mettre en œuvre les mesures de protection prises par les autorités à des passants leur demandant de les respecter, aurait dû, s’il était besoin, convaincre les derniers sceptiques : la race humaine est bien une race de débiles. Pourtant, cette débilité n’avance pas masquée (si j’ose dire) ; au contraire, elle porte les raisons de sa bêtise avec autant de fierté que s’il s’agissait de titres de noblesse ou de décorations de guerre. Car s’il est une chose qui caractérise les « militants anti-masques », comme on les appelle, c’est bien la prodigieuse rhétorique de la raison qui les accompagne – le monceau d’arguments plus ou moins bricolés, plus ou moins documentés, plus ou moins sérieux, sur lesquels ils basent leur refus virulent de participer à l’effort collectif de prophylaxie. Les refuzniks new style sont des rationalistes hardcore ; ils s’accrochent dur comme fer à la solidité d’un régime de connaissance supposé prouver le bien-fondé de leur position. Un bien-fondé supérieur, par hypothèse, à celui de ceux qui s’opposent à eux. De ce point de vue, aussi criminellement cons sont-ils, les anti-masques ne diffèrent que de très peu des gentils citoyens qui font leur devoir sans barguigner, dès lors que, au contraire de ce que l’on pourrait s’imaginer, c’est le même régime de connaissance qui forme la base des justifications aux deux positions. Tout comme ceux qui suivent à la lettre les recommandations des experts, les anti-masques ont pris fait et cause pour des figures d’autorité qui se présentent d’abord comme appartenant à la science – celle-là même dont les autres soutiennent qu’elle leur donne tort. Bien loin de n’être que l’expression d’une ignorance ou d’une foi irrationnelle dans des discours à dormir debout, le refus de la science, dans le monde moderne, relève encore de la science. Ou plutôt, le refus de la raison relève encore de la raison. C’est la raison elle-même, et tout l’appareillage argumentatif et expérimental qui en a accompagné le développement dans la modernité, qui, devant nos yeux ébahis, se met désormais à crachoter comme une vieille bagnole qu’il serait temps de mettre à la casse. Peut-être, du reste, serait-ce le mieux qui nous resterait à faire.