Espace de libertés | Octobre 2020 (n° 492)

La hausse du chômage touche de nombreux jeunes depuis le début de la crise sanitaire. Au fil des mois, cette hausse se poursuit, et ceux-ci paient pour l’instant un lourd tribut. Doit-on pourtant parler de génération perdue ? La réponse doit être nuancée, car des solutions existent.


En Belgique, les organismes régionaux chargés de l’emploi ont montré qu’en Wallonie et à Bruxelles, le chômage des moins de 25 ans a bondi très nettement en un an : + 10 % dans le sud du pays, + 17 % dans la capitale. De même, le nombre de jeunes inscrits comme demandeurs d’emploi pour la première fois a connu une hausse spectaculaire : en un an, presque 30 % de plus en Wallonie, et presque 50 % de plus à Bruxelles. Des chiffres d’autant plus inquiétants que la Belgique apparaît depuis plusieurs années dans le top 10 des pays où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé. Si le tableau est noir en Belgique, il est similaire à l’étranger. L’Organisation internationale du travail (OIT) révélait en mai que les jeunes seraient les principales victimes du marasme économique né de la pandémie de coronavirus. L’OIT appelait les États « à améliorer d’urgence leur situation », faute de quoi « nous allons devoir assumer l’héritage du virus pendant des décennies ».

En attendant, il faut gérer l’urgence, même si ce sera compliqué dans les mois à venir : « Ceux qui viennent de s’inscrire pour la première fois auront moins d’occasions que les jeunes de l’année dernière. Moins de chances, moins de stages, moins de possibilités de formation, et moins d’emplois. Ces jeunes vont entrer en concurrence avec les autres demandeurs d’emploi qui ont déjà travaillé et ont de l’expérience », expliquait Jan Gatz, porte-parole d’Actiris en juillet dernier.

De son côté, l’économiste de l’UGent, Bart Cockx estimait que près de 10 000 jeunes diplômés allaient éprouver plus de difficultés à décrocher un premier emploi. Selon lui, le contexte actuel risque fort d’influer sur leur trajectoire professionnelle et leur rémunération sur une durée assez longue. « Nous avons étudié les effets sur le parcours des personnes qui quittent l’école au moment d’une mauvaise conjoncture économique », indique le professeur d’économie. « Jusqu’à dix ans après la fin de leurs études, leurs revenus restent inférieurs à ceux des jeunes inscrits au chômage dans un meilleur contexte, et dans certains cas, elles occupent une fonction moins favorable. » Une position moins avantageuse qui touchera différemment les diplômés que les moins qualifiés. « Pour les moins éduqués, cela se marquera par une quantité moins importante d’heures de travail, pour un salaire identique. Les plus éduqués seront, eux, obligés d’accepter des boulots moins intéressants. »

Génération sacrifiée ?

L’économiste Philippe Defeyt s’est lui aussi penché sur cette problématique. Il rappelle que si l’emploi des jeunes a augmenté entre 2015 et 2019, les jeunes risquent bel et bien de subir de plein fouet la crise sociale et économique. « D’une part, les jeunes sont plus nombreux à occuper des emplois précaires : ils représentent un peu moins de 50 % des emplois en CDD et des emplois intérimaires. Des postes qui sont généralement les premiers supprimés en cas de crise économique. De l’autre, les jeunes sont surreprésentés dans les quatre secteurs d’activité les plus touchés par la crise. Quatre secteurs, représentant 35 % de l’emploi des jeunes salariés, comme l’Horeca ou le secteur culturel, par exemple. »

Pas question, toutefois, pour l’économiste de parler de génération sacrifiée. Il estime que les jeunes vont finir par trouver un emploi, mais que cela durera plus longtemps. Il y a aussi des solutions, pourtant, comme investir dans d’autres filières porteuses d’emploi telles que la construction, l’industrie ou la logistique. « Cette crise va-t-elle faire comprendre à un certain nombre de jeunes qu’il y a des emplois et des filières délaissés culturellement, socialement à la fois par leurs parents, et par eux-mêmes, et qui offrent aujourd’hui plein de possibilités, y compris en matière d’autonomie ? »

C’est le message lancé aussi par l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi. Il y a beaucoup de secteurs qui recrutent malgré la crise, confirme Thierry Ney, porte-parole du Forem. Pour l’office wallon de l’emploi, il faut aussi casser un message négatif. Il a répertorié près de 11000 offres d’emploi qui ne demandent pas d’expérience. « Les médias ont beaucoup évoqué le chômage des jeunes, en relayant les difficultés qu’ils allaient connaître pour s’insérer sur le marché de l’emploi. On a voulu prendre le contre-pied », résume-t-il. « Malgré le ralentissement économique dû à la crise, les entreprises continuent de recruter, et dans plus d’un quart des offres, aucune expérience n’est exigée. »

Ceci dit, si l’expérience n’est pas exigée, les qualifications le sont plus souvent. Et le porte-parole du Forem d’insister : « Les jeunes qui peuvent se prévaloir d’un diplôme s’insèrent plus rapidement et durablement sur le marché du travail. D’ailleurs, les jeunes qui enregistrent le meilleur taux d’insertion dans un délai de six mois ont suivi des études. » Et à ce niveau-là, il faut casser les idées reçues : un diplôme de l’enseignement technique et professionnel offre plus de perspectives qu’un master.

Trou noir de la protection sociale

À côté de cela, ce qui inquiète en revanche Philippe Defeyt, c’est ce que l’économiste appelle le « trou noir de la protection sociale », à savoir ces jeunes qui ne bénéficient d’aucun revenu parce qu’à peine ou pas encore sur le marché de l’emploi. « On a accepté que des indépendants qui venaient de s’installer aient accès au droit passerelle, tandis que des jeunes qui ont travaillé pendant six mois n’ont eu droit à rien comme salarié. »

La crise actuelle risque d’avoir un impact supérieur pour ces derniers. Dans l’une de ses récentes études, l’économiste analysait le « phénomène Tanguy ». Depuis la crise de 2008, les jeunes ont tendance à rester plus longtemps au domicile de leurs parents. « Leur insertion prend de plus en plus de temps en moyenne. Les jeunes font des allers-retours entre des statuts, des activités, des études, des voyages, etc. Cette proportion de Tanguy a commencé à monter à partir de la crise de 2008 jusqu’en 2019, alors même que, depuis 2015, le taux d’emploi s’est amélioré et que la proportion d’étudiants n’a augmenté que modérément. » D’après l’étude, 55,9 % des 18-29 ans vivent encore chez leurs parents en 2019 contre 52,9 % en 2008. Une tendance qui pourrait s’accroître dans les années à venir. « En période de crise économique, les jeunes peuvent faire le choix de prolonger leurs études face à des conjonctures peu favorables. »

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Pour les jeunes, autant le dire, ils ont du mal à voir leurs perspectives d’avenir, mais surtout, ils n’ont pas envie d’être catalogués comme la génération Covid. Pour beaucoup, le marché de l’emploi semble bouché avec la crainte de voir leur diplôme ou leur formation moins valorisés. Certains ont perdu leur emploi durant cette période comme Cédric, 23 ans, serveur. « Le confinement est venu tout bousculer et le déconfinement n’a rien arrangé. Depuis, j’avoue être complètement paumé. » Avec son diplôme en hôtellerie, le jeune homme a toujours eu du travail depuis trois ans. « Dans la restauration, c’est assez simple de trouver du travail d’habitude, mais là, j’ai l’impression d’être au mauvais endroit au mauvais moment. J’ai un loyer, des factures à payer, et j’ai beau aller déposer un CV chaque jour, je ne reçois aucune réponse. »

De réponse, Amandine, 24 ans, jeune diplômée en management, aimerait en avoir. « Je pose ma candidature à gauche, à droite, y compris pour des jobs alimentaires en tout genre, le temps de trouver mieux. Mais le problème, c’est que même pour ces emplois, il n’y a pas d’offres ! Et les candidatures spontanées n’ont presque aucune chance d’aboutir. Toutes les entreprises contactées me disent qu’elles ne recrutent pas pour le moment. » Pour la jeune femme, cette situation est tout simplement démoralisante. « Après des années d’études, c’est comme si nos diplômes ne valaient rien. Ce n’est pas vraiment ce que j’imaginais comme débuts dans la vie professionnelle après un master… »