Espace de libertés | Octobre 2020 (n° 492)

Derrière les images en noir-jaune-rouge


Culture

En donnant à voir notre pays à travers une foule de représentations iconographiques, l’expo « La Belgique dans tous ses états » permet au visiteur d’aiguiser son sens critique : quelle réalité historique se cache derrière ces images ? Et que disent-elles sur notre présent ?


Chaque État véhicule un lot de signes et de symboles. Ces supports confèrent aux peuples des signes d’appartenance ou, pour reprendre l’expression de François Burdeau, professeur d’histoire du droit à l’Université de Paris II-Panthéon, « ce par quoi il leur [est] offert de rêver leur unité ». Le drapeau fait bien sûr partie de ces signes et symboles tout comme l’hymne national et la devise de l’État. D’autres comme Marianne et son bonnet phrygien, ou encore le coq en France ; Columbia et l’Oncle Sam mais aussi l’aigle (pygargue à tête blanche) aux États-Unis sont des exemples connus. Étudier ces représentations – même quand elles ne sont pas officielles – permet de découvrir un pays et surtout l’évolution de la façon dont il est figuré à travers le temps. C’est à ce travail que s’est attelé Eric Van Den Abeele, commissaire de l’exposition et auteur du livre éponyme à propos de la Belgique.

Le résultat, présenté au Mundaneum jusqu’en avril 2021, est un vaste ensemble de 207 documents provenant de sa collection personnelle, mais aussi du Mundaneum lui-même, de la Bibliothèque nationale (KBR), du musée de la Vie wallonne, disposé en sept sections correspondant aux périodes qui ont marqué l’histoire de la Belgique : ainsi démarre-t-on avec la marche victorieuse de la Belgique vers son indépendance (1787-1830) pour enchaîner avec le rejet de la domination hollandaise à l’Union sacrée (1830-1913), poursuivre avec « une Belgique héroïque et sublimée » (1914-1918) avant d’aborder la reconstruction et la montée des extrêmes (1919-1939), puis de s’attarder sur l’occupation, les compromissions et la libération (1940-1945), le passage de la Belgique unitaire à la Belgique fédérale (1946-2013) et enfin en arriver à la Belgique d’aujourd’hui.

Dans la cour du roi Leo

Les documents exposés, de tous les styles graphiques jusqu’à la caricature de presse contemporaine, sont exceptionnels et surtout particulièrement bien choisis pour faire ressentir l’évolution de l’iconographie de la Belgique et des différentes représentations qu’elle véhicule au fil du temps. Mais quels sont ces signes et ces symboles qui personnifient la Belgique ? Le plus connu est sans doute le Leo Belgicus qui apparaît dès le début du xvie siècle. Mais d’autres, à côté de la devise officielle, l’hymne, le drapeau, de moindre renommée, ont inspiré dessinateurs, affichistes, caricaturistes et propagandistes : la Dame Belgique figurée sous la forme d’une allégorie féminine ; la figure du roi ou de personnages emblématiques ponctuels vus comme des héros providentiels (Jean-André van der Mersch, figure de proue de la révolution brabançonne, Charles Rogier, Albert Ier) ; la Constitution perçue en tant que rempart contre les visées d’États voisins ou les ennemis intérieurs ; tout un bestiaire de circonstance (vache, âne, chien, agneau, souris, papillon, coq, hérisson, etc.) ; le peuple ou la foule en marche, signe de la vitalité et de la force de la patrie ; la carte, le sol, la frontière, le territoire ou le globe terrestre comme espaces symboliques ; une allégorie particulière : les bras ou les mains de la Belgique ; des institutions majeures (Parlement, justice, etc.) ; des bâtiments emblématiques (palais royal, hôtel de ville, arcades du Cinquantenaire, colonne du Congrès, perron liégeois, etc.) ; des cortèges historiques, l’exposition universelle, des réalisations extraordinaires.

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« Consulta­tion populaire ! » : le séparatisme flamand frappait jadis à coup d’affiche

L’imagerie populaire en désuétude

Et l’on est frappé, au travers de ces parcours, de constater combien cette richesse d’évocation s’est évanouie avec le temps. Autre étonnement : dans un siècle d’hyper-communication, la représentation symbolique et allégorique a disparu au profit de messages très « premier degré ». Prenons le cas des affiches politiques. Jusqu’il y a quelques années, à côté des affiches des candidats, les partis concevaient des affiches slogans avec des images fortes. Aujourd’hui, il ne reste, sur les murs de nos cités, que les visages des candidats encadrés par le numéro de la liste et celui de leur place sur ladite liste. Il n’y a plus de message réel littéral. On quitte l’exposition en se demandant, devant ce vide, ce qui demeure encore de cette Belgique quand pratiquement plus aucune représentation, plus aucun signe ou symbole – excepté le travail des caricaturistes –, n’est capable de l’évoquer. Alors, la Belgique évanouie ? Poser la question, c’est sans doute y répondre !