Espace de libertés | Octobre 2020 (n° 492)

Voir Mória, mourir, fuir ou changer


Édito

Cela fait plusieurs années que ce qui a été qualifié de « crise des migrants », non sans une certaine mauvaise foi, empoisonne l’Europe. Mi-septembre, l’existence de ces damnés de la Terre est revenue à l’agenda de nos décideurs lorsque le camp de Mória, situé sur l’île grecque de Lesbos, est parti en fumée, jetant les migrants hors de leurs taudis. Parmi les victimes de cet incendie, quelque 4 000 enfants. Ce qui, une fois encore, fait naître ce sentiment qu’un être humain n’équivaut pas un être humain, selon l’endroit où l’on naît sur Terre.

Un peu affolée tout de même par ce drame géré ponctuellement – alors que la problématique est en fait structurelle –, une partie des pays occidentaux et des instances internationales a accepté d’envoyer de l’aide pour… reconstruire un nouveau camp. S’il est forcément nécessaire de permettre aux réfugiés de dormir ailleurs que sur l’asphalte ou les parkings de supermarché de Lesbos, l’on peut craindre que cette « solution » n’entraîne une nouvelle mise à l’écart de ces demandeurs d’asile.

Une fois de plus, la solidarité a failli. La Belgique a certes accepté d’accueillir quelques enfants non accompagnés puis une autre poignée de migrants sur son sol. Mais c’est une goutte d’eau face aux milliers de migrants qui atterrissent chaque jour dans les camps des pays méditerranéens en première ligne, dont la Grèce fait partie. La gestion de l’accueil continue d’être inégale, question de géographie accentuée par la législation. Le règlement de Dublin sur les migrations délègue encore et toujours la responsabilité de l’examen de la demande d’asile au premier pays d’arrivée d’un migrant en Europe, ce qui fait porter la charge sur le Sud.

Petite lueur d’espoir, la Commission européenne, au travers de la voix de sa présidente, a récemment affirmé vouloir abolir ce règlement de toutes les discordes. Une annonce inespérée, précédant celle sur le fort attendu pacte pour les migrations qui, espérons-le, sera suivie d’effets ! C’est loin d’être gagné, puisque d’autres tentatives similaires ont échoué par le passé et que les points de vue des différents États membres demeurent pour le moins divisés sur la question. De plus, ces dernières années, plusieurs pays, dont l’Allemagne, doivent aussi compter sur l’ombre de l’extrême droite qui se tient en embuscade, en alimentant les clichés du migrant voleur d’emploi, entre autres. Voilà qui attise encore la frilosité. C’est finalement de courage politique et d’une vision basée sur les valeurs humaines dont a besoin l’Europe si elle ne veut pas, elle non plus, s’éteindre dans l’incendie nourri par sa discorde ou se diluer dans son inaction. Les changements, aussi ardus soient-ils, partent toujours de la force d’un autre regard posé sur les problématiques auxquelles nous sommes confrontés, et surtout, de l’effectivité des mesures prônées par les grands discours. Comme l’affirme la chercheuse Isabelle Ferreras au sein du dossier de ce magazine, « il faut donc intensifier le mouvement de l’histoire ». Il est plus que temps !