Espace de libertés | Juin 2021 (n° 500)

La culture, cette pestiférée


Culture

« Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver », aimait à dire Goebbels. On a parfois l’impression que septante ans plus tard, ce postulat fait toujours des émules.


La culture, c’est quoi ? C’est la somme des connaissances d’un peuple, incluant ses traditions, son folklore, sa création artistique, sa langue, sa musique, sa religion le cas échéant… Or, l’usage du mot « culture », aujourd’hui, renvoie à bien d’autres signifiés. Elle s’impose comme un contre-pouvoir face à l’économie dominante  ; dès lors elle gène. Il importe donc, pour le modèle dominant, de la discréditer comme elle discrédite tout adversaire potentiel  : appareil étatique, concurrent, syndicat…

Parent pauvre

C’est que la culture porte en elle un formidable pouvoir de sédition. Incontrôlable, elle permet au peuple de réfléchir, d’envisager les réalités sous un angle libéré, de remettre en question les doxas économistes  : attention, danger.

Il n’est dès lors pas étonnant que dans les médias, la culture occupe le siège peu envié du parent pauvre. Aux infos télévisées, elle arrive comme un pensum en fin de programme, et la brièveté des espaces qui lui sont consacrés oblige les journalistes à se limiter à la culture de masse intéressant – potentiellement – le public le plus large. Dans les journaux, la culture se trouve aussi renvoyée dans les dernières pages, où elle cède une large place à la télévision, ses programmes et ses starlettes.

Les « émissions culturelles » sont de véritables ghettos, des espaces clos consacrés à ce sujet fétide, car il faut bien en faire, de la culture, mais surtout, ne pas ennuyer le public avec ça aux heures de grande écoute. La culture, c’est pour les insomniaques et les pensionnés. Il ne viendrait à l’idée d’aucun programmateur de se dire, par exemple, que la culture, c’est l’essence même de ce qui fonde notre civilisation et qu’à ce titre, elle devrait être omniprésente dans l’ensemble des programmes d’une chaîne.

kengen-436-stephanie-pareit

© Stéphanie Pareit

Vive l’underground

Il est de bon ton de se moquer de la culture et de ceux qui la font, comme on se moque des communistes, des supporters de l’Union saint-gilloise ou des écologistes. Certes, on peut glorifier les artistes populaires, peintres célèbres, écrivains goncourtisés, chanteurs du top 50. Et encore faut-il qu’ils puissent compter sur les services d’une bonne attachée de presse. Pour les autres, c’est le goulag des émissions de la nuit. Et estimez-vous heureux ! Reste le réseau underground, où se créent les avant-gardes, où la création se débride, où l’on n’a rien à perdre et donc tout à gagner à se démarquer autant que possible des modèles imposés. Ainsi s’impose aujourd’hui le street art, cette libre expression qui, sortie des caves et des cavernes de Lascaux, envahit les murs laids de nos cités grisâtres d’images sans fard qui choquent le bourgeois.

Qu’est-ce qu’une société qui néglige sa culture ? C’est une société qui s’autodétruit, qui se fond dans un moule uniformisé, qui renonce à ses particularités et à son caractère. À cet égard, on doit constater l’absence presque absolue de la culture à l’école. Comme si ce n’était pas important, et en tout cas moins important que la géographie et les équations à trois inconnues. « Un Van Gogh, combien de millions ? » Voilà la culture que l’on enseigne. Honte à nous qui laissons notre culture, le sang de notre peuple, se déliter, se diluer dans l’eau saumâtre de la sous-culture américaine et de l’ebook sélectionné par les algorithmes d’Amazon.com. « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », a su dire Édouard Herriot. Si on oublie la culture, il ne restera bientôt plus rien.