Le 21 juin 2002, la loi portant sur la reconnaissance légale et le financement public1 du Conseil central laïque2 a été adoptée à une large majorité par les Chambres fédérales (Chambre des représentants et Sénat). À l’époque, seuls le CD&V et le Vlaams Blok se sont abstenus. Tous les autres groupes parlementaires, y compris le Centre démocratique humaniste, ont voté positivement.
En votant cette loi, les parlementaires ont résolument opté pour un renforcement du pluralisme de la société belge et ont fait le choix responsable d’une société au sein de laquelle théistes, athéistes, agnostiques, rationalistes, spiritualistes pourront continuer à se côtoyer et à dialoguer en bénéficiant d’une même considération et d’un soutien égal de la part des pouvoirs publics.
Le vote de la loi a avant tout une portée juridique essentielle. Cette loi donne à la laïcité organisée un droit à un soutien financier de la part des pouvoirs publics dans les mêmes conditions que celui accordé aux six cultes reconnus par le législateur. Jusqu’à présent, la laïcité organisée bénéficiait d’un subside de l’État fédéral voté annuellement par le Parlement fédéral. La loi qui vient d’être votée donne un caractère durable et obligatoire à ce financement.
Ne pas perdre son « âme »…
Le renforcement des moyens financiers qui seront accordés demain à la laïcité ne peut cependant gommer l’objectif du mouvement laïque de parvenir à une réforme en profondeur du système de financement des cultes et de la laïcité en obtenant une répartition équitable et proportionnelle des subsides publics. Leur affectation actuelle ne repose en effet sur aucun critère objectif et accorde de réels privilèges au culte catholique romain.
Le soutien financier des pouvoirs publics devrait au contraire être proportionnel à la véritable représentativité des courants religieux et philosophiques dans la société civile. Les citoyens devraient pouvoir exprimer leurs choix sous la forme d’une consultation populaire qui serait organisée par exemple à l’occasion d’élections.
Une loi négociée
Après le vote de la loi transitoire de subsidiation de la laïcité organisée en 1981, le constituant a consacré, en 1993 lors de la révision de l’article 181 (ex-117) de la Constitution, l’existence des courants de pensée non confessionnelle en Belgique. Trois ans après la révision de la Constitution, le Conseil central laïque a été invité par le ministre de la Justice de l’époque à discuter de la mise en œuvre de l’article 181 §2 de la Constitution. Pour rappel, l’article 181 §2 de la Constitution est libellé comme suit : « Les traitements et pensions des délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle sont à charge de l’État ; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget de l’État. »
Il aura fallu deux législatures au cours desquelles les négociations avec les ministres de la Justice successifs ont été longues et, pour certains points comme le statut du personnel rémunéré, épineuses. Il s’agissait de trouver des modalités légales de reconnaissance et de financement public les plus adéquates, démocratiques et adaptées au paysage institutionnel d’aujourd’hui tout en veillant à respecter des principes fondamentaux comme l’indépendance et l’autonomie des associations laïques, le respect de la vie privée de leurs membres ou encore la nécessité pour les pouvoirs publics de vérifier la bonne utilisation des fonds publics.
À l’issue de ce travail de rédaction du projet de loi, le Parlement fédéral a été saisi en 1999 d’un premier projet déposé par le ministre Van Parijs qui ne satisfaisait pas complètement le CCL. Il n’a fort heureusement pas été discuté par le Parlement. Fin décembre 2001, le ministre de la Justice Marc Verwilghen a déposé un second projet de loi qui répondait aux attentes du CCL.
Une proposition laïque ancienne à l’origine de la loi
La philosophie générale et la structure de la loi s’inspirent largement d’une proposition juridique avancée dès 1974 par le CCL – et en particulier par l’avocat Robert Hamaide, alors vice-président du CAL3 – qui avait été débattue au sein des associations laïques et publiée dans la brochure Pour la reconnaissance de la laïcité.
Robert Hamaide s’exprimait en ces termes : « Anticipant sur les événements et à seule fin de permettre au législateur de savoir “exactement ce qui lui est demandé”, une commission d’étude du CCL a élaboré un avant-projet d’arrêté royal d’exécution qui ne doit évidemment pas être pris à la lettre, mais qui donne une idée précise de la manière dont pourrait être organisée demain la laïcité. » Ce document a été inspiré par les arrêtés royaux pris en exécution de la loi de 1870 lors de la création des administrations chargées de gérer le temporel des cultes protestant et israélite. Selon les auteurs de ce schéma, les communautés non confessionnelles devront disposer d’une administration nationale qui, paritairement constituée au point de vue linguistique, aura compétence sur l’ensemble du pays ; d’administrations provinciales (une par province, mais deux, l’une d’expression française, l’autre d’expression néerlandaise, pour le Brabant) et d’administrations locales à créer, au fur et à mesure des possibilités, en fonction du besoin de la population, dans les agglomérations ou dans les communes où la nécessité s’en ferait sentir. » La loi qui vient d’être votée ne s’éloigne que très peu de la proposition faite dans les années septante et qui était, à coup sûr, audacieuse pour l’époque.
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Les auteurs de la loi ont par ailleurs eu le souci d’éviter certaines critiques que l’on fait, à juste titre, à l’encontre du financement des cultes et en particulier du culte catholique, à savoir le manque de rationalisation et de transparence dans l’organisation des paroisses et dans la gestion des fonds publics4.
Des nouvelles structures
La loi reconnaît explicitement le CCL comme l’organe représentatif des communautés philosophiques non confessionnelles qui relèvent du CAL et de l’UVV. La communauté philosophique non confessionnelle est définie comme « l’ensemble des personnes d’une circonscription territoriale déterminée (province ou arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale) qui se reconnaissent dans les valeurs promues par les associations (revêtues ou non de la personnalité juridique) qui composent les deux branches du Conseil central laïque, à savoir le Centre d’Action Laïque et l’Unie Vrijzinnige Verenigingen »5.
Après l’entrée en vigueur de la loi, le Roi reconnaîtra douze communautés philosophiques non confessionnelles, une par province et deux pour l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale. Le Roi reconnaîtra également un certain nombre de services d’assistance morale répartis entre les différentes communautés philosophiques reconnues. Pour financer ces communautés et ces services, la loi crée des établissements de droit public qui seront chargés « de la gestion des intérêts matériels et financiers ».
Dans la publication déjà citée Pour la reconnaissance de la laïcité, Robert Hamaide précisait ceci : « Les administrations envisagées ne seront évidemment plus des associations de droit privé : elles seront – comme les fabriques d’église et les administrations des cultes reconnus – assimilées à des établissements publics et dotées, à ce titre, de la personnification juridique. Comme elles, elles pourront recevoir des dons et des legs. Les fonctions de leurs membres seront essentiellement gratuites. »
La loi ne fait rien d’autre que de traduire cette volonté. Elle établit, à côté des associations laïques de droit privé, de façon à préserver leur indépendance, des établissements publics dotés de la personnalité juridique (un par province et deux pour la Région de Bruxelles-Capitale). Ces établissements seront placés sous la tutelle interne du CCL et sous la tutelle générale des autorités publiques. Les provinces et la Région de Bruxelles-Capitale fourniront les fonds publics nécessaires pour faire fonctionner au mieux ces services d’assistance morale, aussi bien ceux qui existent déjà que ceux qui vont être créés à l’avenir.
Ces établissements publics seront gérés par les responsables élus mandatés par les associations laïques du CAL avec l’aide de professionnels et en particulier avec celle d’un comptable professionnel. Les règles de gestion seront identiques pour tous les établissements.
Des services à la population
Le CCL est chargé de coordonner l’organisation de « l’assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle ». Cette aide morale est proposée dans un certain nombre de services déjà ouverts, soit des locaux des différentes régionales du Centre d’Action Laïque soit dans les Relais (Réseaux laïques de solidarité). Elle sera étendue dans d’autres services dont la localisation sera déterminée par le CCL.
L’ensemble de ces services existants et ceux qui seront créés devront être reconnus par arrêté royal. Les crédits budgétaires ainsi que les besoins de la population devront être pris en considération. Il ne faut cependant pas s’attendre dans l’immédiat à un accroissement spectaculaire des services à la population, car un certain nombre d’entre eux sont déjà opérationnels. Ce développement des structures devrait cependant permettre de renforcer l’interaction et les synergies entre les divers secteurs existants de l’action laïque6.
Les services sont composés aussi bien de bénévoles que de professionnels. Les bénévoles sont des responsables élus démocratiquement qui militent au sein des associations laïques membres du CAL ou encore des bénévoles qui ont une mission spécifique et enfin des professionnels déjà appelés délégués laïques conformément à la loi. Les locaux sont ouverts à un public large et s’adressent à toutes les personnes, quelles que soient leurs convictions philosophiques ou politiques. Les services offerts sont extrêmement variés. Il peut s’agir d’une information sur les démarches à entreprendre pour faire participer son enfant à une fête de la jeunesse laïque, d’une adresse d’un centre de planning familial, de démarches collectives à long terme pour revaloriser un quartier, d’une aide à l’organisation d’une exposition avec des personnes marginalisées, d’une aide à une association laïque pour l’organisation d’une rencontre sur un thème philosophique ou éthique, de l’accueil et d’un soutien moral, etc. Le fil conducteur de toutes ces démarches est le libre examen assorti de l’esprit de liberté, de responsabilité, d’émancipation à l’égard de toute forme de dépendance sans référence à une quelconque divinité ou transcendance.
Avec l’aide de collaborateurs permanents
Le dernier volet de la loi concerne les modalités de paiement des traitements et les pensions des délégués laïques déjà au travail au sein des structures laïques et de ceux qui le seront dans les années à venir. La loi donne un cadre légal spécifique qui précise les conditions de travail dans lesquelles les délégués exerceront leur profession. Ils bénéficieront de dispositions sociales provenant à la fois du secteur public et du secteur privé. Actuellement7, les délégués laïques sont près de 160 pour toute la Belgique. D’ici cinq ans, ils devraient être près de 350 à partager, aux côtés des laïques bénévoles, l’idéal de construire une société plus juste, plus progressiste et plus solidaire8.
Cet article est initialement paru sous le titre « Reconnaissance légale de la laïcité organisée. Une loi attendue depuis près de trente ans ! ».
1 Loi du 13 juin 2002.
2 Organe fédéral créé en ASBL en 1971 qui regroupe les deux organisations représentatives de la laïcité belge, soit le CAL et l’UVV (aujourd’hui deMens.nu).
3 Robert Hamaide tout comme Lucia De Brouckère, Paul Backeljauw, Jean Schouters, Georges Liénard et d’autres responsables du CCL ont été les premiers artisans de la structuration et de la reconnaissance légale de la laïcité (cf rapport annuel de l’Église catholique en Belgique, 2018).
4 Il existerait encore aujourd’hui environ 3 846 paroisses catholiques gérées par un nombre quasi équivalent de fabriques d’église.
5 Cf. exposé des motifs du projet de loi, Doc.parl. 1556/01, p. 8.
6 En 2021, conformément à l’AR du 16 juillet 2009 modifiant celui du 19 juillet 2006 portant reconnaissance des services provinciaux et locaux d’assistance morale non confessionnelle relevant du CCL, 41 services sont reconnus par l’État fédéral.
7 En 2002, NDLR.
8 Le cadre du Conseil central laïque est fixé à 354 délégués, et en 2021, ils sont 339 exactement, NDLR.