Espace de libertés | Juin 2021 (n° 500)

De quel genre parlons-nous ?


Libres ensemble

Que dire du genre qui n’eût été déjà claironné ? Beaucoup de choses, en fait. Tant le moment est venu de clarifier les enjeux d’un débat largement biaisé par les opposants à une « théorie »… qui n’a jamais existé.


Les fondamentalistes chrétiens se sont emparés du gender (prononcez « djeundeur ») comme l’Inquisition d’une sorcière au Moyen-Âge. Pour le vouer aux gémonies et en brûler les partisans (Najat Vallaud-Belkacem, ministre française de l’Éducation nationale, peut en témoigner) en agitant des peurs face à un danger qui n’existe que dans leur imagination. Celle-ci, bien fertile convenons-en, a inventé que cette « théorie » consistait, notamment, à enseigner la masturbation à l’école primaire. C’est assez dire les fantasmes qui peuplent leurs rêves… Comme si les bambins avaient attendu d’être à l’école… Ce sont pourtant les mêmes qui veulent qu’on parle de « sexe » plutôt que de « genre ».

Atavisme

Au-delà du ridicule de cette piteuse caricature, il faut rappeler que l’idée de parler de genre au lieu de sexe provient de la nécessité de balayer, dans l’imaginaire collectif, les notions millénaires de « sexe fort » et de « sexe faible », qui constituent l’un des fondements de la discrimination des femmes. L’imaginaire collectif véhicule un nombre incalculable de clichés résumés dans ces deux vocables. Ce qui explique la faible représentation féminine dans les instances dirigeantes et le déterminisme qui les poussent, par atavisme, à « choisir » des carrières étiquetées féminines.

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© Olivier Wiame

On lira dans ces pages l’historique de la notion de gender, ses raisons d’être, ses enjeux à la fois sémantiques et sociétaux. Ceux qui combattent le genre font le choix de perpétuer l’image de la famille pétainiste, glorifiant, si l’on ose dire, la femme au foyer réduite aux tâches domestiques  ; s’opposent, par principe, au libre choix d’enfanter ou non1, de divorcer même d’un conjoint violent, de choisir un emploi ou une carrière, de voter même2  ; enfin, partagent les idées véhiculées par l’extrême droite, qui d’un côté place une femme à sa tête (le mythe de Jeanne d’Arc) mais de l’autre noyaute les mouvements conservateurs prônant le retour de la femme à la maison.

Combattre le genre, c’est favoriser la discrimination qui frappe les femmes en matière de salaire, de travail à plein temps, de retraite, d’endettement. C’est aussi opter pour une vision dogmatique de la société, accepter la suprématie du patriarcat et discriminer la moitié de l’humanité. « Woman is the nigger of the world», chantait John Lennon en 1972. Comme pour souligner que le patriarcat est une forme d’esclavagisme, de racisme et de suprématie « naturelle ».

On sait ce qu’il a fallu de combativité pour venir à bout de l’esclavage. Les opposants au « djeundeur » et autres masculinistes ne devront pas s’étonner, s’ils persistent, à voir les femmes descendre dans la rue pour démontrer que, contrairement à une croyance largement répandue, le sexe fort n’est pas nécessairement celui qu’on pense.


1 L’avortement était considéré par la loi de Vichy comme un « crime contre la sûreté de l’État ».
2 « Les femmes sous Vichy… », sur www.histoire-en-questions.fr.