Force est de constater la myopie des politiques qui œuvrent au sein des institutions européennes : ils s’obstinent à accorder aux Églises un rôle de guide que ne leur accordent plus les citoyens.
01L’intérêt du Vatican pour l’Europe se manifeste dès 1970, en confiant à sa nonciature en Belgique le soin de le représenter auprès des Institutions européennes, puis en créant en 1980 la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), une sorte d’exécutif européen. Début 2005, le pape Jean-Paul II nomme un nonce apostolique auprès de l’Union européenne. La stratégie de l’Église catholique se précise quand la COMECE présente en juin 2002 ses revendications concernant le futur traité constitutionnel, sur le double plan du symbole (l’héritage chrétien, Dieu et la transcendance à insérer dans le préambule), et du politique (le dialogue régulier des Églises avec les institutions européennes à insérer dans le traité). Cette présentation est faite en commun avec les protestants de la CEC (Conference of European Churches) et soutenue par les Églises orthodoxes.
Les Églises revendiquent le droit d’organiser « une procédure de consultation pré-législative au moyen de séminaires avec des conseillers du président de la Commission… par des sessions de travail régulières sur des objectifs spécifiques… »1, en précisant que « ce dialogue permettra aux Églises de continuer à apporter une contribution active et positive au bon développement futur de l’Union européenne ». On sait maintenant que satisfaction leur a été donnée avec l’article 52 du projet de traité2. Cet article est utilisé par le président de la Commission européenne pour rencontrer personnellement, à plusieurs reprises en 2005, les représentants des Églises.
Il est remarquable de constater que ce « dialogue » présenté comme « ouvert et transparent » se déroule à l’écart des associations de la société civile et plus particulièrement des associations « non confessionnelles » qui sont pourtant reprises dans l’article 52. Le lobby mis en place jusqu’au plus haut niveau de la Commission a donc parfaitement bien fonctionné3. Le confinement du dialogue des seules Églises avec la Commission ne sera pas sans conséquence pour les citoyens, dès lors que les sujets abordés concerneront l’accès au planning familial et à l’avortement sans risque, l’utilisation du préservatif ou la promotion de l’abstinence comme seule méthode « contraceptive » pour les jeunes, avec les séquelles que l’on connaît en matière de propagation du virus du sida et de grossesses non désirées chez les adolescentes, sujets pour lesquels les positions conservatrices de l’Église et de son nouveau pontife sont bien connues.
Les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) organisées à Cologne en août [2005], auxquelles la presse a plus que largement fait écho, constituent un exemple éclairant de l’efficacité de ce lobby. Malgré le rejet par le Parlement européen du budget de 1,5 million d’euros destiné à l’organisation de cette manifestation de promotion de l’Église catholique auprès des jeunes, cette somme considérable a néanmoins été attribuée par la Commission européenne. Ce résultat est dû à l’aile politique chrétienne du Parlement européen qui, en votant une résolution exigeant le versement de la somme, a contourné le vote négatif du budget, rompant de la sorte l’esprit d’impartialité par rapport aux convictions qui devraient prévaloir aux Institutions de l’Union. La direction générale « éducation-culture », présidée par le commissaire slovaque Ján Figel’, s’est empressée d’attribuer ce million et demi d’euros.
L’objectif de l’Église catholique est clairement exprimé par le [nouveau] pape, ex-cardinal Ratzinger : « retrouver les racines chrétiennes d’unité profonde du continent ». Les moyens mis en œuvre sont à la mesure de cet objectif quasi messianique qui a les allures d’une reconquista religieuse de l’Europe sécularisée. Ils consistent à introduire à tous les niveaux des personnes dévouées à la cause, capables d’intervenir efficacement dans de nombreux domaines. La tentative avortée de faire nommer Rocco Buttiglione, proche du pape défunt, à la commission Justice, libertés et sécurité du Parlement européen, n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Impartialité des pouvoirs publics par rapport aux convictions des citoyens, séparation du politique et du religieux sont des concepts qui ne figurent pas parmi les priorités des artisans actuels de l’Union, alors que plusieurs des « Pères fondateurs » d’origine chrétienne n’entendaient pas mêler religion et politique dans le Traité qui liait les États membres entre eux. Il y a lieu de s’étonner d’une forme de myopie d’un grand nombre de politiques, tant au sein des institutions de l’Union que dans les États membres, qui s’obstinent à privilégier les institutions religieuses comme ressource « pour donner du sens » à une citoyenneté européenne encore à créer, alors que les populations dans leur ensemble n’accordent plus aux Églises une fonction de guide de leur existence, à cause de leurs positions en totale contradiction avec les aspirations de la modernité.
1 « Dialogue between the Churches and the European Commission. Proposals for strengthening and deepening current practice », COMECE and KEK, juin 2002.
2 Voir aussi « Constitution européenne. Campagne de signatures », dans Espace de Libertés, no 315, novembre 2003 et Georges C. Liénard, « Article 51. Le gouvernement exige la suppression », dans Espace de Libertés, no 317, janvier 2004.
3 Débat au Parlement européen, 5 septembre 2005, intervention du commissaire Jacques Barrot.