Espace de libertés | Juin 2021 (n° 500)

Il est bon pour toute publication d’expliquer sa ligne éditoriale. Celle d’un magazine comme « Espace de Libertés » pose plus de questions qu’on ne le croirait. À l’évidence, c’est un organe qui émane du mouvement laïque. On peut donc le supposer écrit dans un esprit laïque et, chose qui ne va pas forcément de soi, il est écrit pour les laïques, que ceux-ci soient actifs dans une association ou simplement de cœur – et d’esprit – avec nous.


Il n’est cependant pas inutile d’aller plus loin. Une lectrice nous y invite. Elle a renoncé à son abonnement et nous en a donné les raisons qui sont d’ordre idéologique, ce qui est rare ou en tout cas rarement énoncé. Cette ancienne abonnée nous reproche de ne pas représenter tous les laïques, mais uniquement ceux de gauche ou d’extrême gauche. Nous serions aussi fortement teintés de vert.

Il est certes simple de répondre à cette lectrice que nous tentons de faire d’Espace de Libertés un magazine pour tous les laïques, mais il ne faut pas cacher que notre projet – tel que voulu dès sa fondation en 1987 et tel que développé depuis – peut poser bien des problèmes. Ceux-ci peuvent provenir de la diversité des laïques. Leurs préférences politiques (mais il en est d’autres) vont à plusieurs partis politiques. À cet égard, nous attribuer des sympathies écologistes me paraît curieux. Un éditorial1 m’a un jour valu de vives répliques de la part de deux parlementaires Ecolo qui y voyaient la marque d’une incompréhension ou d’une insensibilité des laïques organisés à l’égard de préoccupations nouvelles et d’un mouvement encore mal inséré dans les habitudes d’un courant laïque sensiblement plus ancien.

Aborder tous les problèmes

La cause de la difficulté tient à la volonté déclarée d’Espace de Libertés d’aborder autant que possible tous les problèmes de la société, particulièrement à travers notre dossier mensuel. En un peu plus de 150 numéros, nous avons balayé pas mal de sujets, très au-delà de l’ordinaire des publications laïques belges ou étrangères presque toujours limité à la séparation de l’Église et de l’État, à l’enseignement public, à la critique des Églises ou des religions et, si leur profil est nettement rationaliste, à celle des fausses sciences. Espace de Libertés s’est pour sa part avancé beaucoup plus à découvert et tous azimuts.

Ceci imposait d’aller à la rencontre des questions soulevées aujourd’hui. Dans cette optique, et pour intéresser un public plus jeune que celui qui nous est normalement acquis, nous avons décidé il y a quelques années qu’il y aurait une fois par an un dossier autour de sujets de type écologique, d’où nos dossiers sur les déchets, l’énergie, le climat, etc. Il ne s’agissait pas de concéder, dans une sorte de proportionnalité, une zone ou un fief aux laïques écologistes, mais d’aborder ces questions comme d’autres, dans un esprit de libre examen. Ceci impliquait que chaque fois, le point de vue des écologistes soit formulé et honnêtement représenté. Ceci peut agacer ceux qui voient là un signe parmi d’autres de la montée de l’irrationnel et du mépris du progrès scientifique. Je le conçois fort bien, mais c’est le prix à payer si l’on veut être présent dans l’univers contemporain.

Depuis moins longtemps, la contestation altermondialiste pose le même problème. Nous avons tenté de la rencontrer dans quelques articles et nous consacrerons – toujours sans nous en faire le porte-parole – en janvier prochain un dossier à l’une de ses préoccupations actuelles, la marchandisation des services publics2.

Quelle spécificité?

Ce type d’orientation rédactionnelle suscite en réalité une interrogation véritable  : les laïques ont-ils un message spécifique à faire entendre sur tous ces sujets ?

Aux thèmes traditionnels spécifiques, nous avons ajouté ce qui a trait à la bioéthique où nous avons des points de vue marqués et hautement spécifiques. Mais avons-nous quelque chose de particulier à dire sur la prostitution ? Le dossier de novembre dernier3 paraissait bien nous montrer tout aussi divisés que tant d’autres entre la condamnation de l’exploitation de la femme et le souci d’organiser décemment un mal inévitable. Tout au plus peut-on constater qu’une motivation est absente chez nous, celle des esprits religieux hostiles à la légalité de la prostitution, à l’instar de tous les intégristes religieux.

De fait, nous avons parmi nos tâches la charge de prospecter de nouveaux domaines. Nous sommes ainsi tout à l’opposé d’une attitude de repli. Nous souhaitons, là où cela a un sens, faire part de nos valeurs, voire développer celles-ci, quitte à être taxés d’immodestie.

Outre une attitude systématique d’ouverture au débat, nous avons des éléments spécifiques, mais pas sur tout. En Belgique, tout le monde se revendique de la liberté d’expression, mais il me semble bien que les laïques la placent plus haut que la plupart des autres dans leur échelle de valeurs. Les laïques peuvent être solidement partisans de l’initiative privée ou, tout au contraire, vouloir étendre les domaines gérés directement par les pouvoirs publics. Ils sont divisés sur ce point, mais aucun d’eux ne se débarrasse de la préoccupation de la citoyenneté et de l’espace public ni de celle de la liberté. Le « goût » des catholiques pour le développement séparé a induit d’autres comportements.

Ceci dit, ne faisons pas preuve du même impérialisme que l’Église catholique qui, pour garder son pouvoir, a encensé tour à tour la féodalité, le patronat industriel, le corporatisme, le fascisme, la démocratie chrétienne et qui continuera demain d’encenser le plus fort du moment.

Connaissons donc nos limites, mais sachons ne pas nous borner à celles du passé.


1 « L’arc-en-ciel est-il laïque ? », dans Espace de Libertés, no 273, août-septembre 1999. On lira les protestations d’Alain Pieters et de Bernard Wesphael dans Espace de Libertés, no 276, décembre 1999, p. 32.
2 « Commercialisation des services », dans Espace de Libertés, no 307, janvier 2003.
3 « Prostitution  : entre prohibition et réglementation », dans Espace de Libertés, no 305, novembre 2002.