Pour les Allemands, le plus grand danger pour l’État de droit et la démocratie n’est pas l’islamisme, mais la violence d’extrême droite. L’ex-RDA est particulièrement touchée par ce phénomène.
Après l’attentat de Hanau, près de Francfort, qui a fait dix morts en février 2019, puis l’attaque d’une synagogue au cours de laquelle deux personnes ont perdu la vie à Halle le jour de Yom Kippour en septembre 2019, les Allemands ont pris conscience du problème de la violence d’extrême droite. « Le plus grand danger pour l’État de droit et la démocratie allemande vient de l’extrême droite », a reconnu lui-même le Bavarois Horst Seehofer, ministre fédéral ultra-conservateur de l’Intérieur. Et, pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale, un élu a également été assassiné en 2019 par l’extrême droite : Walter Lübcke a été exécuté d’une balle dans la tête par un néonazi dans son jardin. L’assassin, dont le procès est en cours, a admis que son objectif était de sanctionner une politique pro-réfugiés.
La chancelière accuse le parti d’extrême droite l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), sans le nommer, de souffler sur les braises. « Les paroles favorisent le passage à l’acte », rappelle régulièrement Angela Merkel. Depuis l’entrée de cette formation politique à l’assemblée fédérale (Bundestag) en 2017 comme première force d’opposition, les violences d’extrême droite ne cessent en effet de progresser. Créée en 2013 par des eurosceptiques favorables au retour du Deutsche Mark et à la sortie de l’Allemagne de l’Union européenne (Dexit), l’AfD a été récupérée par une aile nationale-identitaire (völkisch) de plus en plus influente. Le mouvement est désormais beaucoup plus radical – voire néonazi dans certaines régions – que le Rassemblement national (RN) en France ou le parti d’extrême droite autrichien (FPÖ).
Le néonazisme toujours vivace
Mais l’extrême droite en Allemagne ne date pas de l’avènement de l’AfD. « Les xénophobes ont toujours existé en Allemagne, comme partout ailleurs. Ils ne sont pas plus nombreux, mais plus visibles », explique Gero Neugebauer, politologue à l’Université libre de Berlin. Cette haine « ronge notre société depuis longtemps », ajoute Robert Habeck, le leader écologiste, rappelant qu’en 1980, un néonazi faisait exploser une bombe à Munich, à la porte d’entrée de la Fête de la bière, faisant treize morts et plus de 200 blessés.
L’extrême droite est active en RFA et en RDA depuis 1949, année de création des deux anciennes Allemagnes. « La dénazification n’a jamais eu lieu ni à l’Ouest ni à l’Est », rappelle Harry Waibel, historien allemand du racisme et spécialiste du néonazisme. « Après la guerre, la propagande nazie est restée ancrée dans les têtes, y compris en RDA. Le parti communiste affirmait que c’était un problème du capitalisme. C’était un mensonge », dit-il. Tandis que dans l’ancienne Allemagne de l’Ouest, trois formations néonazies (DVU, NPD et Die Republikaner) tentaient d’entrer dans les parlements régionaux (en vain), le régime communiste à l’Est a été confronté à un mouvement sans structure, mais beaucoup plus violent. « Environ 10 % des jeunes est-allemands étaient des néonazis convaincus qui rêvaient de la grande Allemagne », rappelle Harry Waibel.
L’ex-RDA, berceau de Pegida
« Il a fallu attendre 2020 pour que le gouvernement fédéral se rende compte que l’extrême droite, notamment à l’Est, était une menace pour la démocratie allemande », déplore l’historien Harry Waibel. L’AfD (12,6 % aux élections de 2017) est devenue la deuxième force politique à l’Est avec des scores de plus de 25 % dans les scrutins régionaux, arrivant parfois devant les conservateurs avec des candidats néonazis ! Les scores sont trois fois plus importants qu’à l’Ouest. Dans le dernier « Rapport annuel sur l’état de l’unité allemande », présenté le 16 septembre dernier, le délégué du gouvernement fédéral chargé des « nouveaux Länder » s’est inquiété de l’écart qui continue de se creuser entre les deux anciennes parties de l’Allemagne. « Il faut avouer que l’extrême droite a plus d’adeptes à l’Est », confirme Marco Wanderwitz.
Lors de la « crise des réfugiés » en 2015, c’est à l’Est que le mouvement islamophobe et antidémocratique Pegida se développe. Et c’est à l’Est que les exactions sont les plus violentes. À Freital, en Saxe, huit extrémistes de droite ont été condamnés à des peines allant jusqu’à dix ans de prison pour avoir perpétré plusieurs attaques contre des réfugiés et contre des responsables politiques.
Les services de renseignement allemands ont longtemps sous-estimé la menace, comme l’a révélé le procès en 2013 des terroristes de la NSU (Clandestinité nationale-socialiste), un groupuscule néonazi issu de l’Est qui a exécuté sept commerçants étrangers et une policière. Les enquêteurs ont toujours cru à des règlements de compte entre immigrés, la thèse du crime raciste n’ayant jamais été évoquée pendant l’enquête.
Une infiltration insidieuse
L’influence de l’extrême droite au sein des forces de sécurité est une autre source d’inquiétude. Les autorités de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont découvert avec effroi, mi-septembre, que vingt-cinq policiers exprimaient sur un forum raciste leur haine de l’islam. « Nous savons depuis longtemps que la police allemande a un problème d’extrémisme. Ce scandale n’est que la partie émergée de l’iceberg », estime Tobias Singelnstein, spécialiste de la violence policière à l’Université de Bochum.
L’extrême droite s’attaque à la politique culturelle par une stratégie de harcèlement administratif en réclamant par exemple la nationalité des comédiens dans les théâtres publics. Une stratégie d’intimidation qui s’exerce déjà en Russie ou en Hongrie et dont l’objectif est de pousser les artistes à se censurer. « Les autres partis politiques forment encore un cordon sanitaire autour de l’AfD. Mais si l’extrême droite arrivait au pouvoir, la situation pourrait vite basculer. On l’a vu en Hongrie, il est difficile de faire marche arrière », prévient Ulrich Khuon, président de l’Union des théâtres et des orchestres allemands.
Enfin, l’extrême droite allemande tente de récupérer toute sorte de mouvements protestataires. Le 29 août dernier, une manifestation « anti-masques » rassemblant 40000 personnes à Berlin, était infiltrée par des néonazis et des représentants de mouvement identitaires de l’AfD. « Ces manifestations constituent un terreau idéal pour la diffusion de l’idéologie des mouvements d’extrême droite », s’inquiète Sebastian Fiedler, le patron du Syndicat des agents de la police criminelle (BDK).
À la fin de la manifestation, plus de 300 personnes ont pris d’assaut les marches du bâtiment du Reichstag, le siège de l’assemblée fédérale, en agitant d’anciens drapeaux de l’empire allemand. Tout un symbole, lorsqu’on sait que les nazis ont incendié ce bâtiment en 1933. Le décret qui en a résulté leur a permis de supprimer l’essentiel des libertés civiles et a conduit à la dictature hitlérienne.