Espace de libertés | Décembre 2020 (n° 494)

Le séparatisme, voilà l’ennemi !


International

Sous l’impulsion résolue du président Emmanuel Macron, le gouvernement français présentera prochainement au Parlement un projet de loi destiné à « conforter les principes républicains et la laïcité », laquelle est définie par le chef de l’État comme le « ciment de la France unie ».


« Séparatisme ». Le mot a fait couler beaucoup d’encre en France. Il a été discuté, contesté par certains, approuvé par d’autres. Finalement, il ne figurera pas dans l’intitulé du projet de loi que le gouvernement français soumettra au Parlement en février 2021. Mais le concept plane. Pas seulement depuis que le président Macron a prononcé son désormais célèbre discours des Mureaux, en banlieue parisienne, le 2 octobre dernier.

La source, il faut aller la trouver dans une autre intervention présidentielle. C’était le 18 février 2020, à Mulhouse, en Alsace : « Il y a des parties de la République qui veulent se séparer du reste, qui, au fond, ne se retrouvent plus dans ses lois, dans ses codes, dans ses règles. » Le tournant dans la prise en compte de cette réalité-là, il fut exprimé pour la première fois nettement à Mulhouse. Mais il marque une évolution conceptuelle au plus haut niveau de l’État d’une manière jamais formulée ni par le président Macron ni par aucun de ses prédécesseurs dans l’exercice de leur mandat.

Du communautarisme au séparatisme

Un retour en arrière s’impose. En 2003, le président Chirac crée une commission de réflexion sur la laïcité dont la présidence est confiée à une grande figure du centrisme, Bernard Stasi. La même année, l’Assemblée nationale crée en son sein une « mission », pluraliste elle aussi, dont, fait rarissime, la présidence est assurée par le no 1 de l’Assemblée nationale lui-même, le gaulliste Jean-Louis Debré. Dans la foulée, au sein du ministère de l’Éducation nationale, une équipe d’inspecteurs généraux se réunit autour de Jean-Pierre Obin – qui vient d’ailleurs de publier un nouveau livre – pour évaluer la situation au cœur du système scolaire1. Les trois rapports de ces diverses instances feront tous le même diagnostic à quelques semaines d’écart. Les revendications religieuses progressent de façon massive dans de nombreux domaines de la vie sociale, le plus souvent de la part de courants fondamentalistes musulmans.

Announcements of new measures by Emmanuel Macron, President of the French Republic on October 28, 2020 during a televisual speech to counter the second wave of COVID 19. Toulouse, France. Photography by Sandra Fastre / Hans Lucas. Annonces de nouvelles mesures par Emmanuel Macron, pr?sident de la r?publique francaise le 28 octobre 2020 lors d'une allocution televisuelle pour contrer la deuxieme vague du COVID 19. Toulouse, France. Photographie par Sandra Fastre / Hans Lucas.

Conforter les principes républicains et la laïcité, telle est l’ambition du président Macron : il souhaite asseoir ces valeurs dans un projet de loi qui fait couler beaucoup d’encre. © Sandra Fastre/Hans Lucas/AFP

Les germes de ce « séparatisme » dont Emmanuel Macron a souligné la virulence figurent en toutes lettres dans ces documents. Cependant, une seule mesure, emblématique, mais loin de répondre au caractère multiforme du défi lancé par l’islamisme, sera alors retenue. Il s’agit de la loi du 15 mars 2004 prohibant les signes religieux dans l’enseignement public, adoptée au demeurant par la quasi-unanimité des parlementaires. Les autres préconisations seront oubliées ou différées. La France vit depuis lors vis-à-vis de cette tentation séparatiste dans un rapport étrange, certains optant pour le déni, d’autres pour l’esquive, d’autres encore s’étant engouffrés dans des formes de clientélisme électoral, dont de multiples exemples locaux ont été mis en lumière.

Les grandes lignes du projet de loi sont connues. Elles s’articulent autour de plusieurs axes. Le premier relève de la neutralité des services publics, dont le texte prévoit d’étendre l’obligation aux structures parapubliques et privées délégataires du service public. Les organismes HLM comme les opérateurs de transports, entre autres, sont concernés. La procédure de « carence républicaine » pourrait par ailleurs être activée par des préfets constatant des décisions d’une collectivité « méconnaissant gravement » la neutralité du service public. À titre d’exemple, des subventions locales abusives attribuées à des associations prônant le séparatisme ou des menus confessionnels imposés dans des cantines scolaires.

Reconquête républicaine…

Le volet associatif sera particulièrement développé. Le versement de subventions publiques sera ainsi conditionné à la signature d’un contrat d’engagement « pour le respect des valeurs de la République et des exigences minimales de la vie en société ». Les motifs de dissolution d’associations seront élargis, afin d’endiguer les pressions exercées sur des publics vulnérables ou l’apologie du terrorisme, dont l’actualité témoigne de la persistance. Le projet de loi a également pour objet la protection des droits des femmes. Seront donc pénalisées les pratiques visant à attester de la virginité d’une femme et affermies les mesures de lutte contre la polygamie et les mariages forcés.

Un axe majeur du texte concerne l’école, au-delà de la mesure « choc » dont le but est de mettre fin à la scolarisation à domicile. La déscolarisation et le recours à des structures clandestines ont connu une progression notable en quelques années et les exemples pullulent de l’endoctrinement d’enfants dans des environnements où l’incitation à la haine et à la discrimination accompagne une instruction scolaire rudimentaire. De même, l’encadrement des écoles hors contrat sera consolidé.

L’organisation des cultes est aussi concernée par le texte de loi. Il incitera les structures musulmanes aujourd’hui enregistrées sous le régime associatif de la loi de 1901 à se placer sous l’empire de la loi de 1905 afin de mieux séparer les activités cultuelles des actions culturelles ou socio-éducatives. Un renforcement de la transparence pour la gouvernance et pour les financements sera prévu, de même que la protection des associations cultuelles vis-à-vis de prises de contrôle « malveillantes ». Les dispositions sur la police des cultes seront adaptées, en vue d’endiguer la diffusion d’idées et de propos hostiles aux lois de la République. Enfin, la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites sur Internet fera également l’objet d’un titre entier du projet de loi.

… culturelle et idéologique

Le président Macron, à l’instar de ses ministres Gérald Darmanin (Intérieur), Marlène Schiappa (Citoyenneté) et Jean-Michel Blanquer (Éducation) insistent sur les décisions auparavant prises en matière de prévention : dédoublement des classes en primaire, réforme de l’accompagnement scolaire, programme de rénovation urbaine porté à 10 milliards, présence accrue des services publics… Des plans de lutte contre la radicalisation ont déjà été déployés dans de nombreux quartiers, avec des résultats tangibles. Mais Emmanuel Macron sait aussi que les mesures concrètes ne feront pas tout. « À l’islamisme radical brandi comme une fierté, nous devons opposer un patriotisme républicain assumé », déclarait-il le 2 octobre aux Mureaux. Il s’agit en effet d’un combat de reconquête culturelle et idéologique de longue haleine.


Le titre fait référence à la célèbre phrase de Léon Gambetta, prononcée en 1877 : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » La situation que vit aujourd’hui la France vis-à-vis de l’islamisme n’est pas sans analogie avec les visées ultramontaines de l’Église catholique de la fin du xixe siècle.
1 Jean-Pierre Obin, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Paris, Hermann, 2020, 166 p. Lire notre recension en pages 78-79.