Parmi les changements attendus de la part de Joe Biden, celui de renouer avec le multilatéralisme est brandi comme un Graal. Mais est-ce vraiment la voie claire et nette qui sera adoptée ? Une opinion de Guillaume Devin, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po).
« Tout comme il était abusif d’annoncer que la présidence Trump signait la fin du multilatéralisme, il est excessif de prophétiser que l’élection de Joe Biden va “ramener le monde sur le chemin du multilatéralisme”. Il y a au moins deux raisons à cela.
D’une part, le multilatéralisme n’a jamais cessé de fonctionner. C’est une illusion de réduire la coopération multilatérale à ce qui se passe ou ne se passe pas au Conseil de sécurité des Nations unies. Sa paralysie sur la crise syrienne ou son incapacité à trouver une réponse commune à la pandémie de la Covid-19 n’empêche pas les multiples fonds, programmes, agences et institutions spécialisés des Nations unies de poursuivre leurs missions. Depuis au moins septante ans, le multilatéralisme social a tissé son filet institutionnel, amortissant en quelque sorte les périodes de tensions du multilatéralisme politico-militaire. Ceci ne signifie pas que la conduite de retrait de l’administration Trump à l’égard du multilatéralisme en général et de certaines organisations en particulier (Unesco, OMS, OMC, notamment) ait été indolore, à commencer par la réduction des budgets qu’elle a entraînée. Mais elle est insuffisante à défaire une coopération multilatérale relativement bien installée dans les relations internationales : les États-Unis peuvent quitter l’Organisation mondiale de la santé, celle-ci ne disparaîtra pas pour autant. En revanche, une administration mieux disposée et plus constructive vis-à-vis du multilatéralisme pourrait encourager une dynamique coopérative au lieu de la saper et rééquilibrer les rapports de force, au lieu d’affirmer démesurément l’influence des puissances autoritaires. C’est ce que l’on peut raisonnablement espérer de l’équipe du nouveau président élu, Joe Biden.
Mais, d’autre part, rien n’est vraiment assuré. Les États-Unis ont toujours entretenu une relation très ambivalente à l’égard du multilatéralisme. Pour reprendre une formule attribuée à l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright : “Les États-Unis sont multilatéraux quand ils le peuvent et unilatéraux quand ils le doivent.” Tel est le privilège des très grandes puissances qui pratiquent le multilatéralisme à la carte. Souhaitons que le nouveau président en fasse un usage raisonné et modeste en se défiant de l’hubris de son prédécesseur. »