Espace de libertés | Décembre 2020 (n° 494)

Polémiquer, tromper : les stratégies de l’« extrema derecha »


Dossier

En Espagne, Vox est devenu la troisième force parlementaire à la suite des élections de 2019. Dans le pays, personne n’avait prévu une telle montée de l’extrême droite, malgré trente-six ans de régime franquiste. L’installation de la démocratie n’a pas empêché la naissance de groupes populistes et autoritaires, dont les tactiques trompeuses portent malheureusement leurs fruits.


Le parti politique Vox a été fondé en 2013, en suivant une vague de petits partis anti-immigration qui ont connu un certain succès en Catalogne ou à Valence. Aujourd’hui, Vox est le majeur représentant de l’extrême droite en Espagne : 52 sièges au Congrès des députés après les élections générales de novembre 2019, ce qui en fait la troisième force parlementaire du pays.

L’essor de Vox a suscité l’intérêt du monde académique et médiatique. Ses caractéristiques, nous les connaissons bien : forte tendance xénophobe, discours anti-immigration (« nous » contre « eux »), mystification du passé, composante autoritaire… Mais, comment en est-il arrivé là ? Pas de réponse simple. En revanche, depuis son irruption, Vox bénéficie d’une attention médiatique interpellante et dont l’intérêt informatif ne serait pas toujours justifié. Une couverture médiatique souvent marquée par un commun dénominateur : la diffusion de polémiques sous forme de messages anti-establishment et la stimulation de débats qui, sur le fond, n’ont pas de raison d’être.

Diffuser la controverse, transmettre l’idéologie

En tant que média, comment traiter Vox afin de ne pas lui octroyer une attention excessive et de ne pas nourrir les messages de haine sur les réseaux sociaux ? Ne l’oublions pas, c’est là que réside l’une des clefs de leur stratégie : la Twitter politics, une utilisation de la plateforme jamais vue avant la campagne de Donald Trump lors des élections de 2016, aux États-Unis.

Vox choisit d’adopter un ton « politiquement incorrect » afin de déclencher le faux débat et de rendre viraux leurs messages. L’exemple le plus illustratif a eu lieu en avril de cette année, quand Twitter a suspendu son compte officiel à cause d’incitation à la haine. Critiqué sur la mesure de censure parentale dans les écoles de la région de Murcia, Vox a répondu qu’ils n’allaient pas tolérer que le gouvernement « finance la pédérastie avec l’argent public »1. Défendu par Vox, le droit de veto ou « pin parental » permettrait aux parents de décider si leurs enfants pourraient assister aux activités complémentaires proposées par les écoles publiques, parmi lesquelles se trouveraient des activités de sensibilisation à la diversité LGBTQI+ ou sur l’ÉVRAS.

Les centres scolaires de la région ont indiqué que l’on tentait de créer un problème en soi inexistant puisque les familles des écoles publiques n’ont jamais manifesté d’objection aux activités complémentaires. Mais peu importe : le buzz était créé sur les réseaux sociaux et la question a fait le tour de tous les médias de masse. Entre-temps, le message est passé : mettre en cause les valeurs de l’éducation publique et universelle et en faire une priorité dans l’agenda politique.

Fake news ou intoxication informative

Les fake news sont efficaces au service d’un agenda populiste et autoritaire. Accompagnées d’exagérations et d’arguments touchant l’émotionnel, les fausses informations de Vox se basent très souvent sur le recours à des boucs émissaires, entre autres les musulmans ou les féministes.

L’utilisation des fake news comme stratégie en vue de tirer un avantage politique fonctionne.

Les leaders du parti ont par exemple affirmé à plusieurs reprises que « la plupart des femmes assassinées en Espagne l’ont été par des étrangers ». Or, selon les données officielles du gouvernement, 70 % des agressions sexuelles (en 2017) ont été perpétrées par des hommes espagnols. Mais Vox insiste : il faudrait regarder l’origine ethnique ou culturelle des agresseurs pour comprendre pourquoi les femmes continuent à subir des violences sexuelles aujourd’hui.

Une étude de 2019 analyse aussi les liens entre le parti politique et Caso Aislado, considéré comme l’un des plus gros sites Web générateurs de fake news. Le site contient de nombreuses rubriques écrites par des membres de Vox, et il relaye systématiquement des contenus liés au parti ou à d’autres médias et sites Web de tendance d’extrême droite. Selon Vox, les médias traditionnels auraient fait le choix délibéré de ne pas parler d’eux, ce que justifierait leur recours aux réseaux sociaux et aux portails d’informations. Pourtant, l’étude conclut que le discours de Vox est très bien incorporé dans l’agenda médiatique dominant, ce qui confirme malheureusement que l’utilisation des fake news comme stratégie en vue de tirer un avantage politique fonctionne.

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L’instrumentalisation de la crise

Et comme il ne fallait pas rater une si belle occasion, face à la pandémie, la stratégie de Vox s’est construite sur deux axes : plus d’agressivité dans leurs revendications politiques et une critique féroce du gouvernement. Des représentants du parti ayant par exemple accusé l’exécutif de mentir aux Espagnols, d’être responsable d’« un génocide » dans les maisons de repos, ou d’avoir un « traitement favorable » envers les immigrés en leur fournissant des masques et du matériel de protection.

Cependant, le plus inquiétant réside dans une série de messages appelant (plus ou moins indirectement) à un coup d’État, parmi lesquels celui du député européen Hermann Tertsch. Sur Twitter, il a affirmé que le gouvernement semblait vouloir forcer l’armée à « interrompre un évident procès putschiste de dynamitage de la nation espagnole » – ce procès putschiste étant bien entendu les mesures du gouvernement dans le cadre de la crise.

Vox est allé jusqu’à proposer une motion de censure contre le Premier ministre – qui n’a pas abouti par manque de soutien des groupes parlementaires de droite. De nouveau, la même question se pose : était-ce une vraie initiative ou une stratégie de marketing ? Ce qui n’est guère surprenant, c’est que les médias en ont parlé dans leurs tribunes et que des débats furent organisés sur les plateaux de télévision.

Que ce soit sous l’angle de l’anti-immigration, l’antiféminisme ou l’anti-diversité, Vox aura réussi à imposer un rôle clef dans la programmation des agendas médiatique et politique, grâce à ses fallacieuses stratégies. Il est peut-être temps d’étudier comment les mouvements de défense de la démocratie et des valeurs laïques pourraient mieux les contrer.


1 Juan Corellano, « Twitter bloquea la cuenta oficial de Vox por “incitación al odio” », mis en ligne sur www.publico.es, 23 janvier 2020.