Animatrice en éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle dans un centre de planning familial, j’ai repris contact en septembre avec les écoles dans lesquelles j’interviens, afin de construire le programme des animations de l’année. Ce matin, nous rencontrons une classe de deuxième maternelle pour une première séance.
Nous sommes fin octobre et le climat fraîchit. L’ambiance est aux déguisements, aux citrouilles et aux zombies. Nous approchons des vacances d’automne et l’effervescence semble avoir gagné toute l’école. Ma collègue et moi-même toquons à la classe de M2. Les élèves ne nous connaissent pas encore et nous accueillent les yeux remplis de curiosité. Nous nous présentons brièvement puis séparons les élèves en deux sous-groupes. La classe a déjà été divisée avant la récréation en trois petits coins plus intimes, chacun dédié à un sens. Nous nous installons à l’atelier du goût et je leur demande de se présenter à leur tour, mais en me parlant de leur doudou. Cet objet dont l’odeur est un doux mélange d’eux-mêmes, de leurs parents, de leur maison, et qui témoigne d’un morceau des quatre années qu’ils ont déjà vécues. Madame Charlotte, l’institutrice qui fait désormais partie du groupe des animés au même titre que ses élèves, parlera aussi de son lapin orange, perdu à plusieurs reprises. Ce qui ne manquera pas d’amuser les enfants et de les surprendre. « Toi aussi, madame, tu as été un bébé ? »
Accepter la différence
Nous passons alors au corps de l’animation. Je demande aux enfants de se bander les yeux avec leurs écharpes puis leur fais goûter à l’aveugle une série d’aliments. Après les avoir reconnus, les enfants peuvent s’exprimer sur leurs préférences. Certains aiment le jus de citron, d’autres pas. Idem pour le chocolat à haute teneur en cacao, ou pour le gingembre confit. Nous apprenons aussi les mots qui qualifient les saveurs (sucré, amer, salé…). « Beurk, c’est pas bon ! Comment tu peux aimer ça ? » demande Ilyas à sa copine Sophia. Il semble étonné de cette différence entre eux alors qu’ils s’entendent si bien. Sophia semble gênée. Je demande à Ilyas s’il pense que son amie a un jour décidé de ses préférences gustatives. « Bien sûr que non, madame ! » Les goûts s’imposent à nous et nous n’y pouvons pas grand-chose… Comme plus tard notre orientation sexuelle le fera. Mais nous y reviendrons dans quelques années. Pouvoir affirmer sa différence face aux autres, l’assumer, se faire accepter dans le groupe, être légitime, autant d’expériences qui renforcent nos petits êtres pensants.
Je passe ensuite divers types de musique : les quatre saisons de Vivaldi, du jazz, un peu de Leonard Cohen. Les enfants expriment leurs ressentis par rapport aux sons qui envahissent la classe. « Cette musique me rend triste, je pense à ma grand-mère qui est morte cet été », dit un enfant. « Quand j’entends ça, j’ai envie de sauter partout et de rigoler », déclare un autre.
Nous passons au toucher, les faces jaunes et vertes d’une éponge à vaisselle ne créent pas les mêmes retours : on passe de « Ouille ça pique comme quand mon chat me griffe ! » à « Ça, j’aime bien, c’est comme des doudouces. Encore un peu, madame Julie ».
Légitimer le vécu
Après 45 minutes, au moment où l’attention se disperse, nous instaurons un changement pour les capter encore un peu. Nous nous rasseyons au coin tapis pour un moment de relaxation. Je les invite à respirer, à se détendre et prendre conscience de leur corps ; apaiser les tensions éventuelles ici ou là, amplifier le bien-être qui s’est insinué, aussi. Nous clôturons par la lecture d’un conte, propice au retour au calme et à l’ancrage de l’expérience par le récit. Ainsi s’achève la première approche de l’ÉVRAS pour ces enfants, la première brique du projet que nous construirons avec eux et leurs enseignant.e.s tout au long de leur scolarité.
L’enfant de 4 ans est un petit être traversé par des pulsions, des sensations et des questions. L’apaiser en lui donnant le droit à la parole, à des réponses adaptées, légitimer tout ce qu’il vit et lui donner, si nécessaire, des outils pour gérer les trop-pleins : autant d’expériences qui ne peuvent que l’aider à être à l’écoute de son corps, de ses émotions et de ses besoins. L’ÉVRAS offre ces temps où l’on se pose, en confiance, pour se connecter à soi, arrêter le temps, puis repartir plus fort vers sa vie et le monde.