Espace de libertés | Avril 2019 (n° 478)

Antisémitisme : appliquer la loi, une priorité


Opinion

En France, la montée de l’antisémitisme prend des proportions extrêmement inquiétantes. Quel est l’état des lieux en Belgique ? Nos lois permettent-elles suffisamment de punir les propos et actes antisémites ? L’opinion de Patrick Charlier, codirecteur d’Unia, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme.


« Nous notons une légère augmentation des dossiers liés à l’antisémitisme en Belgique depuis dix ans, qui sont en moyenne passés de 75 à 80, par vagues. En 2018, pour la 4e fois en dix ans, nous dépassons les 100 dossiers ouverts chez Unia (sur 2 500, dont 866 liés globalement au racisme), alors que les années creuses, cela retombe à 54. Nous sommes passés devant la justice pour 6 cas d’antisémitisme en 2018 et il est intéressant de noter la variété des actes incriminés. Nous avons, par exemple, le cas de dégradations de logements de familles juives à Anvers et d’agressions envers les personnes de la part de quelqu’un provenant de la communauté arabo-musulmane qui présentait une obsession anti-juive liée à son histoire. Un autre dossier concernait des comportements de harcèlement, avec tous les stéréotypes antisémites possibles, au sein de la police. Un troisième dossier concerne la “maison nazie”, à Keerbergen : un ancien militaire ayant décoré son habitation selon la thématique du régime nazi. Autre phénomène en pleine croissance : l’expression de paroles antisémites sur les réseaux sociaux. C’est important de porter ces cas devant la justice afin de montrer qu’il n’y a pas d’impunité sur Internet. Enfin, le dernier phénomène concerne des groupes, comme les identitaires flamands de Schild & Vrienden, mais aussi des salafistes, dont les propos antisémites tombent sous l’angle du racisme organisé. Nous ne sommes donc pas dans les mêmes cas de figure qu’en France (assassinats, cimetières profanés) où l’expression antisémite est plus virulente, même si l’on peut souligner le caractère antisémite de l’attentat du musée Juif et le meurtre des quatre personnes avec un mobile de haine, comme l’a souligné la Cour dans son verdict. Cinq critères sont repris dans la loi contre le racisme, dont l’un relève de l’antisémitisme, même si ce mot n’est pas explicitement écrit : c’est celui de l’ascendance. Les autres critères sont la couleur de la peau, les origines nationales ou ethniques et la prétendue race. Depuis 1995, nous avons aussi une loi relative au négationnisme qui vise cette forme spécifique de l’antisémitisme. Pour nous, la priorité, c’est l’application effective de la loi. Ce qui pose problème, c’est le rapportage. Chez Unia, le critère d’antisémitisme est pris en compte, mais lorsque l’on porte plainte à la police ou devant le parquet, cela est repris comme acte raciste au sens large. Concernant l’antisionisme, nous effectuons une lecture strictement juridique et nous pouvons mobiliser le critère de la nationalité lors de propos inadéquats. Dans le cas de BDS (boycott des produits venant d’Israël), par exemple, si un académique ou une personnalité culturelle israélienne se voyait refuser le droit de se produire en Belgique, cela pourrait tomber sous le chef de ce critère de nationalité ». (se)