La coopération au développement devrait constituer un outil multilatéraliste puissant pour améliorer la justice sociale et, par là, les relations internationales. Mais en Belgique, le travail effectué par les ONG semble remis en question.
Puisque le traitement réservé par un pays à ses programmes de coopération au développement est un révélateur profond du choix de société qu’il pose, nous profitons de ces lignes pour partager quelques interrogations concernant l’état et l’avenir de la coopération au développement en Belgique. Elles présentent le point de vue de praticiens œuvrant au sein d’une ONG, avec toute la subjectivité que cela comporte.
Durant les années 1970, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a formalisé le concept d’aide publique au développement (APD) et arrêté le fameux objectif de 0,7 % du RNB que les pays industrialisés se sont engagés à allouer à l’atteinte des objectifs de développement. À ce jour, la Belgique n’a jamais tenu cet engagement1… et pire, s’en éloigne.
L’APD en Belgique se distille principalement au travers de quatre canaux : la coopération gouvernementale avec les pays partenaires – appelée aussi coopération bilatérale – dont les fonds sont confiés l’Agence belge de développement, la coopération multilatérale via laquelle la Belgique contribue à l’aide mise en œuvre par différentes organisations internationales, l’aide humanitaire, et enfin, l’octroi de subsides à des acteurs de la coopération non gouvernementale, appelée également coopération indirecte.
Haro sur les ONG
Dans le contexte actuel, la coopération indirecte n’a pas très bonne presse. On l’accuse régulièrement de naïveté ou d’inefficacité. La critique naît, souvent, de l’utilisation de fonds publics – dont les ONG sont largement dépendantes – pour des objectifs perçus par un grand nombre comme non prioritaires, voire illégitimes. Pourtant, le chemin parcouru depuis 19972 est colossal. Ces dernières années ont été marquées par une professionnalisation importante du secteur pour répondre au renforcement drastique des contrôles imposés par l’administration sur les activités et le fonctionnement des ONG. Celles-ci sont notamment auditées par des organismes indépendants, à diverses reprises chaque année. En 2015, elles ont déployé beaucoup d’énergie pour s’inscrire dans un processus de certification fortement conseillé par l’administration (Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire, dite DGD). En 2016, sous l’impulsion du ministre de la Coopération au développement, dont l’ambition à peine cachée était de diminuer le nombre d’ONG susceptibles d’accéder aux fonds indirects, les organisations désireuses de renouveler leur accréditation ont été soumises à un audit très exigeant, commandité par la DGD et effectué par un cabinet de consultance. Environ deux tiers (70) des ONG belges ont réussi ce processus. En 2018, une nouvelle exigence a été ajoutée, la certification de leur système de suivi et d’évaluation.
L’eau est enfin disponible dans la région de Sinendé, au Bénin, grâce à la coopération internationale. © Alvaro Fuente / NurPhoto
La professionnalisation est évidemment un objectif noble auquel nous adhérons pleinement. La critique, le contrôle, dans des mesures raisonnables, sont des moteurs utiles à l’amélioration continue et motivent un questionnement permanent sur les objectifs et le fonctionnement de nos organisations. Cependant, trois questions se posent. Pourquoi les évaluations et contrôles portent-ils uniquement sur les performances managériales et pas sur les qualités techniques et scientifiques des organisations ? Pourquoi ne pas appliquer ce même niveau d’exigence aux autres canaux de financement ? Les bureaux privés et les organisations internationales qui mettent en œuvre les fonds de l’aide multilatérale ne subissent pas de tels contrôles. Enfin, troisième interrogation, peut-être la plus importante : pourquoi cette volonté d’affaiblir le secteur associatif, pourtant marqueur important du niveau démocratique d’un pays ?
Un sentiment d’instrumentalisation
Autre source de questionnement, en 2017, le ministre de la Coopération au développement a fait valider en Conseil des ministres une note stratégique sur l’approche globale de la Belgique en matière d’affaires étrangères et de coopération qui insiste sur un renforcement de la coordination et de la synchronisation à tous les niveaux de l’action politique. La première phrase de cette note indique qu’il s’agit pour la Belgique de poursuivre ses intérêts et les valeurs qui lui sont chères et qu’elle souhaite promouvoir dans le monde.
La nécessité de travailler de manière concertée et intégrée pour résoudre des problèmes complexes est bien évidemment peu discutable. Toutefois, l’approche globale telle que promue par le gouvernement belge engendre plusieurs questions délicates3. La première est que cette définition semble orienter l’aide vers les objectifs de la politique étrangère de la Belgique. Quelle est, dans ce cas, la place des pays bénéficiaires pour participer à l’élaboration des actions de coopération ? La deuxième question est de savoir comment seront définies les fameuses « valeurs belges » qui formeront le socle de l’approche globale. Qui va dicter les règles de cette nouvelle sorte de « pensée unique » ? S’il s’agit de se conformer aux valeurs et intérêts énoncés par une majorité gouvernementale, on est en droit de s’inquiéter. Enfin, que restera-t-il du N d’ONG, si les organisations dites non gouvernementales sont priées, comme le prévoit la note, de s’intégrer totalement dans la stratégie gouvernementale ?
Quelle est la place des pays bénéficiaires pour participer à l’élaboration des actions de coopération ?
Inefficacité des ONG, diminution de leur nombre, instrumentalisation dans la mise en œuvre d’une politique nationale, les ONG de développement doivent-elles disparaître ? Bien sûr, il faut espérer qu’elles soient amenées à disparaître, comme les autres acteurs de l’aide au développement, lorsque l’aide internationale ne sera plus utile. Cependant, nous avons la faiblesse de penser qu’elles ont encore un rôle important à jouer. Cette conviction est renforcée par la lecture des travaux de chercheurs de cinq universités belges4, regroupés au sein de l’Academic Research Organisation for Policy Support (Acropolis), qui ont travaillé sur le thème de l’aide dans les contextes fragiles et proposent plusieurs principes d’action.
Enrichissement mutuel
Le renforcement d’une société civile plus apte à revendiquer ou à s’impliquer dans le développement d’une meilleure gouvernance est un axe important. Il correspond parfaitement aux modalités d’action de la plupart des ONG. Beaucoup d’entre elles collaborent avec des organisations homologues au Sud, qui prennent de plus en plus d’importance dans la co-construction et la mise en œuvre des actions. Notre travail évolue, le transfert des compétences techniques vers le Sud doit être de plus en plus pointu et les apports du Sud pour le Nord deviennent de plus en plus pertinents. Pour initier et accompagner cette évolution, nos projets comportent des volets de formation et de recherche, facilités par notre situation d’ONG universitaire, sans instaurer la primauté d’un savoir académique sur les connaissances pratiques des acteurs de terrain. Bien au contraire, l’enrichissement est mutuel et crée une spirale positive dans l’efficacité de nos partenariats. Nos actions de sensibilisation, menées en Belgique pour un engagement vers une citoyenneté critique, viennent renforcer cette dynamique. Avec, à terme, l’élaboration conjointe de plaidoyers cohérents entre le Nord et le Sud sur des sujets de société importants.
La coopération au développement demeure un outil puissant, surtout lorsqu’il est concerté, intégré tout en permettant à chacun d’œuvrer selon ses particularités.
D’autres principes mis en avant par l’Acropolis correspondent parfaitement aux modalités d’action des ONG. Bien connaître le contexte, rester engagés sur des durées suffisamment longues tout en étant flexibles et capables de s’adapter aux évolutions rapides sont autant d’aptitudes bien maîtrisées par les ONG grâce à leur ancrage local fort et à la relative légèreté de leur organisation (en particulier au regard des coopérations bilatérales et multilatérales).
La coopération au développement demeure donc un outil puissant, surtout lorsqu’il est concerté, intégré tout en permettant à chacun d’œuvrer selon ses particularités. Notre optimisme demeure. Le florilège actuel de mouvements citoyens divers nous enjoint à persévérer. Les résultats tangibles de nos projets, et les améliorations concrètes qu’ils offrent aux populations, ancrent nos valeurs. Un optimisme mobilisateur, mais vigilant.
1 Rapports annuels du CNCD sur l’aide belge au développement.
2 Suivi des problèmes de l’Administration générale de la Coopération au développement, rapport fait au nom de la commission parlementaire spéciale, n° 1123/1, 8 juillet 1997.
3 Voir la dépêche de la Fondation Hirondelle du 30 septembre 1997.
4 Tribunaux communautaires villageois, à l’origine pour régler les litiges entre voisins, NDLR.