Espace de libertés | Avril 2019 (n° 478)

Dossier

À New York, le Conseil de sécurité de l’ONU représente un levier crucial du multilatéralisme et de la paix internationale. La Belgique y siège pour deux ans, jusqu’à la fin de 2020. Mais pour y faire quoi, au juste ?


Dans ce que le jargon diplomatique nomme une security policy brief, le diplomate Johan Verbeke explique ce que signifie être membre non permanent du Conseil de sécurité. Johan Verbeke sait de quoi il parle : il a représenté la Belgique auprès de l’ONU lors de la décennie précédente. En 2007-2008, le pays avait déjà siégé au Conseil, cette instance « chargée de la paix et de la sécurité internationale », en tant que membre provisoire.

« Une adhésion non permanente n’est pas un privilège que l’on s’attribue, mais une autorité qui vous est transmise et doit être assumée. Un mandat en tant que membre non permanent auprès du Conseil de sécurité signifie un travail pesant. À vous de démontrer que vous pouvez relever le défi. Vous serez jugé pour votre contribution substantielle au débat, pour les connaissances et l’expertise que vous avez démontrées dans le cadrage et la mise en forme de solutions aux problèmes », explique Johan Verbeke.

Ces mots résonnent comme une prophétie. C’est que la tâche est lourde et quelque peu sacerdotale. Les diplomates belges savent que le Conseil de sécurité impose de se retrousser les manches. Il exige des milliers d’heures de travail supplémentaires, des soirées interminables passées à consulter des dossiers aussi épais qu’alambiqués, des trésors de persuasion censés convaincre les uns sans s’aliéner les autres.

Une course folle

Depuis le 1er janvier, la Belgique siège donc à nouveau et pour une période de deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU en tant que membre non permanent. « Alors que la remise en question des mécanismes internationaux se traduit dans la dynamique même de coopération au sein du Conseil, la Belgique entend y incarner la vision multilatéraliste sur laquelle repose sa politique extérieure depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale », affirmait en décembre dernier le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders. Le libéral francophone détaillait ainsi les ambitions belges : « Prévention des conflits par la médiation et l’attention aux menaces contre la paix (dont le changement climatique), protection de chaque personne, notamment des enfants victimes des conflits armés, et gestion opérationnelle efficace des missions de l’ONU. »

Tel est le programme qui attend la Belgique, mais aussi l’Allemagne, l’Afrique du Sud, la République dominicaine et l’Indonésie, les nouveaux membres provisoires du Conseil jusqu’à la fin de l’année 2020. Ils siégeront aux côtés des cinq membres permanents dotés d’un droit de veto : États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni. La Belgique, il faut l’ajouter, assumera la présidence tournante du Conseil de sécurité à partir de février 2020.

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Les diplomates évoquent leur passage par le Conseil comme une course folle. Folle, dense et brève puisque limitée à deux années passées auprès des colosses de la politique internationale, du moins auprès du quintet qui s’imposa au reste du monde après la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas sûr que si les rôles devaient être redistribués aujourd’hui, Londres et Paris seraient encore de la partie.

Une affaire d’entregent et de bon sens

Que pèse la Belgique face à ces puissants ? Pas grand-chose sur le plan de la force politique et militaire. D’où l’appel de Johan Verbeke à la modestie : « Être un membre non permanent ne vous concerne pas principalement. Ce sont d’abord les autres. Et les autres, c’est l’ensemble des membres de l’ONU que vous êtes censé représenter, qui répondent au Conseil de sécurité et sont liés par ses décisions. » L’ancien représentant belge auprès des Nations unies prévient : « Comme membre non permanent, vous êtes principalement surveillé et jugé par les membres permanents et ce sont eux, avec l’ensemble des membres de l’ONU, qui décideront de votre destin au Conseil de sécurité. Ce sont les permanents qui vont faire ou défaire votre réputation en tant que non permanents. »

Suit l’énumération des outils d’un « kit de survie ». Le membre non permanent doit être compétent, fin connaisseur des dossiers. Il doit prendre la place « naturelle » qui est la sienne, s’inscrire au mieux dans la mécanique du Conseil de sécurité. Il doit être fiable, ne pas constituer un élément perturbateur aux yeux des autres membres. Le respect de ces conditions lui assurera un gain d’autorité. Ou non…

Un bémol encore, et il est de taille : « Le Conseil de sécurité vise à résoudre des problèmes, pas à les compliquer comme cela arrive parfois dans la culture de “débat” de l’Assemblée générale de l’ONU. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’idéologie. Être un membre non permanent efficace implique d’éviter le dogmatisme (dont le légalisme est une forme de premier plan). » Il faut au contraire privilégier le pragmatisme, soit « ce qui relève du bon sens, ce qui est politiquement acceptable et pratiquement réalisable ».

C’est aussi le bon sens qui conduit cet autre diplomate à détailler sous le couvert de l’anonymat ce qu’il est légitime d’attendre concrètement de la Belgique d’ici la fin de 2020. « Être membre non permanent ne signifie pas que l’on est subitement investi d’un pouvoir quelconque. Il n’y a pas grand-chose que la Belgique puisse faire en réalité, sinon faire part aux autres de notre expertise sur l’Afrique des Grands Lacs et jouer le jeu dans la constitution des majorités ».

Les « cinq grands » ont un droit de veto au Conseil de Sécurité, mais constituer des majorités n’en reste pas moins nécessaire.

En dépit des turbulences qui ont régulièrement chahuté ses relations avec le Congo, la Belgique reste un des interlocuteurs les plus avertis sur cette région du globe. L’arrivée de Félix Tshisekedi à la présidence de la RDC constitue un momentum particulier. L’enjeu consiste à éviter que le fils de l’opposant historique Étienne Tshisekedi ne soit trop affaibli face au clan Kabila, lequel règne sur l’Assemblée nationale congolaise.

Ici, comme dans d’autres dossiers, la Belgique se montre plus proche des membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité que sont la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Or, Washington soutient Tshisekedi tout en ciblant les affaires de corruption ou de violence. Les Américains pointent certaines responsabilités dans le fiasco électoral congolais mais évitent d’être taxés d’ingérence. C’est une partie subtile dans laquelle la Belgique peut jouer grâce à son expertise.

Un rôle fatalement limité

Ce rôle a évidemment ses limites. « La Belgique peut également essayer de proposer des solutions dans le dossier syrien par exemple », poursuit notre diplomate. « Notamment en conseillant d’abandonner un rôle subalterne à Bachar Al-Assad dans la région, mais ce serait inacceptable pour la France, les États-Unis et le Royaume-Uni. Les possibilités de compromis à la belge s’arrêtent là. »

À cette influence relative, il faut ajouter la capacité de chacun à emporter les décisions au sein du Conseil de sécurité. Les « cinq grands » ont un droit de veto certes, mais constituer des majorités n’en reste pas moins nécessaire. Et là, les membres non permanents se découvrent un poids certain, quoiqu’éphémère. Il faut encore préciser que pour un État de l’UE, un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU permet de faire entendre le point de vue plus général de l’Europe. La politique extérieure de l’Union n’en étant qu’aux balbutiements, l’occasion est donnée de lui donner un coup de pouce.

Mais tout ne peut être abordé en permanence par le Conseil de sécurité, à commencer par les droits humains. C’est pourquoi, en février dernier, la Belgique a posé sa candidature afin de devenir membre (pour la troisième fois) du Conseil des droits de l’homme des Nations unies de 2023 à 2025. Là aussi, elle entend promouvoir la protection des droits humains « par la voie du multilatéralisme ». Didier Reynders rappelle au passage que le Conseil de sécurité doit continuer à remplir son « rôle protecteur » des droits et des libertés fondamentales à travers toutes les régions et les sociétés, « quel que soit leur système politique ».

« La crédibilité du Conseil dépend des États membres qui en font partie et qui participent à ses activités », concluait en février dernier le chef de la diplomatie belge. À bon entendeur…