Espace de libertés – Mars 2015

Au nom de l’égalité hommes-femmes


Dossier

S’il peut être difficile de choisir un prénom pour son enfant, s’accorder sur le nom de famille peut aussi désormais relever du casse-tête. D’autant que derrière la transmission du nom des parents à l’enfant se cache un réel enjeu pour l’égalité des femmes et des hommes.


En 2012, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) avait pris l’initiative d’interpeller le monde politique dans un avis (1) afin que les noms des deux parents soient transmis à leur enfant en vue d’assurer une égalité réelle entre les femmes les hommes. L’Institut y constatait que les règles de transmission du nom à l’enfant constituaient une discrimination fondée sur le sexe et violaient les réglementations internationales qui condamnent toute discrimination entre les hommes et les femmes. La loi belge n’autorisait pas une femme mariée ou une femme vivant en union libre avec un homme, à donner son nom de famille à ses enfants ni à adjoindre son nom de famille à celui du père.

La recommandation de l’Institut visait l’imposition du double nom de famille, le choix de l’ordre des noms étant laissé aux parents.

Une nouvelle loi

Le 1er juin dernier, la loi du 8 mai 2014 qui instaure l’égalité de l’homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l’enfant est entrée en vigueur. Si cette loi ne va pas aussi loin que l’aurait espéré l’Institut, elle a cependant le mérite de permettre aux femmes de transmettre leur nom à leur enfant. En cas d’accord des parents, cette loi abandonne la priorité absolue du nom du père. Les parents peuvent désormais attribuer à l’enfant le nom du père, le nom de la mère ou les deux dans l’ordre choisi par les parents. Cela concerne tous les enfants qui naissent à partir du 1er juin 2014 ainsi que les enfants mineurs nés avant cette date et qui n’ont pas encore de frère ou de sœur majeurs au 1er juin. Pour ces derniers, les parents disposent d’un an pour faire une déclaration conjointe à l’officier de l’état civil de leur administration communale concernant le choix de nom qu’ils auront fait pour leur(s) enfant(s).

Toujours une discrimination fondée sur le sexe

Toutefois, si les parents ne trouvent pas d’accord, ou en l’absence de choix, l’enfant reçoit automatiquement le nom de famille du père. Ainsi, le père dispose d’un droit de veto qui lui permet d’éviter que l’enfant reçoive (aussi) le nom de la mère. Cette disposition est discriminatoire envers les femmes. Avec la loi actuelle, aucune protection égalitaire du droit à la vie privée et familiale n’est garantie aux femmes. En outre, la perpétuation de cette tradition patriarcale permise par la loi maintient les relations de pouvoir entre hommes et femmes. Sans oublier que laisser la possibilité aux hommes plutôt qu’aux femmes de transmettre leur nom est susceptible d’induire un souhait des parents plus marqué pour la naissance ou l’adoption d’un garçon plutôt que d’une fille, en vue de perpétuer le nom de famille à travers les générations futures.

Recours à la Cour constitutionnelle

L’Institut, constatant la persistance de cette discrimination, a introduit une requête le 26 novembre dernier devant la Cour constitutionnelle pour annuler l’article de la loi prévoyant le droit de veto du père (2).

Si l’Institut avait reçu de nombreuses plaintes avant l’entrée en vigueur de cette loi, de femmes et d’hommes, qui contestaient le manque de liberté et la discrimination dans la transmission du nom à l’enfant, depuis l’entrée en vigueur de celle-ci, ce sont d’autres formes de signalements qui lui sont parvenus. Principalement issus de femmes souhaitant se joindre formellement à l’action de l’Institut et dénoncer l’abus de pouvoir dont elles sont victimes.

Il s’agit de situations propres à soulever l’indignation telles que le refus du père de voir le nom de la mère ajouté au sien pour des raisons tenant de la vengeance suite à un divorce, de la volonté de continuer à asseoir sa domination après avoir été violent pendant le mariage ou après avoir abandonné une femme enceinte et son premier enfant. Parfois les conflits entre parents sur la transmission de leurs noms à leur(s) enfant(s) naissent du désir profond de certains pères d’avoir la certitude que leur nom sera perpétré, parfois ils sont aussi le reflet d’une volonté de domination de l’homme sur la femme. Domination exacerbée notamment dans les cas de divorces ou conflits dans lesquels le dialogue et la conciliation n’ont plus leur place.

Par conséquent, l’Institut recommande, en cas de désaccord entre les parents ou d’absence de choix, d’utiliser automatiquement le double nom de famille avec une règle neutre, du type tirage au sort par l’officier d’état civil pour définir l’ordre des deux noms.

Inégalités dans les faits

D’autres pistes ont déjà été explorées dans les travaux parlementaires, mais l’Institut met en garde: modifier la règle en laissant aux parents la primeur et le choix entre le nom du père, celui de la mère ou le double nom, dans l’ordre souhaité, ne répondrait qu’à une égalité formelle entre les hommes et femmes. Cette option ne garantirait pas une nécessaire égalité dans les faits. En effet, il est plus que probable que, cédant à la tradition ou à la pression que notre société fait peser sur les femmes, ce soit le nom du père qui soit le plus souvent transmis.

Dans l’intérêt de l’enfant et de l’égalité des femmes et des hommes, il est important de réformer et d’unifier les règles applicables, dans la plus grande mesure du possible et en tout cas, lorsque la filiation est établie vis-à-vis de deux parents (de sexe opposé) et quelle que soit la situation familiale: mariage, concubinage, cohabitation, famille recomposée, adoption.

 


(1) IEFH, «Avis concernant la modification des règles du Code civil sur la transmission du nom à l’enfant», 13 juin 2012, sur http://igvm-iefh.belgium.be.

(2) IEFH, «Le nom de famille des mères et des pères inégaux devant la loi», communiqué de presse, 28 novembre 2014, sur http://igvm-iefh.belgium.be.