Pour beaucoup, l’association des termes «femmes» et «leadership» évoque tantôt un concept sexy tantôt une curiosité suspecte, voire une crainte. Alors que pour d’autres, c’est un chemin sûr et incontournable vers la réduction de toutes les formes d’inégalités et de violences dont sont victimes les femmes.
Si la question du leadership est devenue le cheval de bataille des associations de défense des droits des femmes, elle reste largement absente des agendas politiques, et ce, malgré une forte demande.
Dans le contexte global de la lutte pour l’amélioration des conditions des femmes, le leadership féminin est «un processus d’influence qui nécessite d’avoir un but, une vision, pour atteindre un objectif commun». La question du leadership s’adresse ici exclusivement aux femmes. D’une part, elles représentent, d’après les chiffres des Nations unies, la majorité de la population mondiale. D’autre part, elles sont largement exclues des processus de décision dans la sphère publique comme privée. Le leadership est avant tout «inclusif, participatif et démocratique» et permettra de développer et/ou de renforcer le pouvoir d’action des femmes ainsi que leurs qualités intra et interpersonnelles. Dès lors, le leadership apparaît comme une locomotive destinée à ancrer durablement un ensemble d’actions marquant le changement de positionnement des femmes à l’égard d’elles-mêmes et du monde qui les entoure. D’abord vécu intérieurement, le leadership est un sentiment qui se développe à mesure que l’action apparaît nécessaire pour amorcer le changement. Il agit comme un puissant symbole dans l’imaginaire; il forge et renforce. Il finit par être l’expression d’une liberté valorisante; celle de «pouvoir penser, dire, faire, exiger, négocier, influencer ou imposer». Ainsi, les femmes candidates au leadership se dotent des capacités d’impulser, d’orienter et d’influencer.
Le leadership en action
Les acteurs de terrains, tels que l’Association démocratique des femmes du Maroc, Femmes et Leadership en Tunisie ou encore Actions in the Mediterranean (AIM) à Bruxelles plaident pour une réelle intégration de l’axe leadership dans les politiques publiques et multiplient les appels en faveur d’une reconnaissance politique, économique, sociale et culturelle du leadership.
Dans la foulée des révolutions arabes, en particulier au Grand Maghreb, le rôle politique, social et associatif des femmes s’est accru et est appelé à croître à mesure que les horizons démocratiques s’élargissent. Cependant, se heurtant à un monde essentiellement masculin où le poids des traditions et les discriminations dominent, la majorité des femmes se retrouvent dans une course inégalitaire par manque d’expérience, de connaissances et de compétences. Les outils dont elles disposent sont insuffisants et leur pouvoir d’action est réduit à son minimum. C’est dans ce cadre qu’en 2014, Simone Susskind, présidente de l’AIM, lance l’initiative «Femmes leaders de demain» (1). Soutenu par la Fondation H. Böll et la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce projet pilote permet à des femmes algériennes, tunisiennes, marocaines et belges de participer à des cycles de formations sur le leadership dans chacun de ces pays. Ces femmes veulent être des leaders; soit elles sont déjà engagées dans l’associatif et/ou dans la politique, soit elles ambitionnent de le faire. Pour Simone Susskind: «Le projet vise à les accompagner dans l’apprentissage du leadership, à les aider à se doter des outils nécessaires, à mieux définir les contours de leur projet sociopolitique. L’idée est qu’elles acquièrent les attributs d’un leader capable de fédérer et de mobiliser les énergies autour d’un projet ou d’une action collective. Nous essayons de casser ce cercle vicieux qui affaiblit les femmes confrontées à de nombreux préjugés et stéréotypes. Nous allons beaucoup plus loin que l’empowerment; on se concentre sur la fonction de leader. Depuis le début de nos travaux, les 20 participantes ont effectué un travail important sur leur confiance en elles-mêmes; la plupart se sont ouvertes et ont pris de l’assurance, elles se sont découvertes autrement. Elles sortent des sentiers battus et se renforcent dans l’exercice de leur leadership par la mise en réseau, l’échange d’information et d’expérience, et la construction collective de modèles et de stratégies d’action.»
Et les politiques dans tout ça?
La question du leadership ne peut pas être un sous-dossier dans les politiques destinées à l’amélioration des conditions des femmes. Certes, il existe ici et là des formations ou des projets sur le leadership, mais rien de conséquent et de centralisé qui puisse répondre aux énormes défis en la matière. L’allocation des budgets destinés à la cause des femmes doit être repensée car in fine, les femmes doivent être en mesure d’en faire bon usage. Actuellement, aucune plateforme ou institution ne met l’accent sur le leadership dans ses domaines d’action prioritaire. À l’heure où l’Europe affirme, du haut de ses 28 voix, son attachement et son engagement à lutter contre toutes les violences faites aux femmes, force est de constater que la question du leadership reste largement absente de l’agenda politique européen. Pourtant, elle est inéluctable, car les femmes sont les vecteurs de paix, d’éducation, de liberté, de prospérité partagée et d’égalité.
Le leadership tel que décrit valorise les femmes, réduit leur vulnérabilité, renforce leur pouvoir d’action et participe à la réduction des inégalités hommes-femmes. Il doit donc être au cœur des politiques publiques à l’instar de nos voisins du Nord qui ont compris que la combinaison genre, empowerment et leadership est une équation gagnante. Celle-ci offre un cadre d’action à toutes les femmes, ouvre le champ des possibles et apporte une réponse globale avec des stratégies modulables en fonction de contextes variés.
(1) Cf. «Femmes leaders de demain», mis en ligne le 29 mars 2014, sur http://simonesusskind.be.