La Fédération Humaniste Européenne (FHE), l’International Humanist and Ethical Union (IHEU), le Centre d’Action Laïque et leurs partenaires appellent à abolir les lois relatives au blasphème en Europe et dans le monde. Une action d’importance fondamentale pour la survie de nos libertés.
Le saviez-vous? Des lois relatives au blasphème ou au délit similaire d’»injure religieuse» ont toujours cours dans l’Union européenne, dans plusieurs États membres dont Chypre, la République tchèque, le Danemark, l’Espagne, la France (en Alsace-Moselle), la Finlande, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal et la Slovaquie. Presque la moitié de l’Union, excusez du peu!
Loin d’être seulement un héritage folklorique du passé, ces lois portent véritablement atteinte à la liberté d’expression. Ailleurs dans le monde, des lois de ce type peuvent mener à l’emprisonnement, à la torture et à la mort, comme l’ont encore montré les cas récents du Saoudien Raif Badawi et du Mauritanien Cheikh Ould M’Kheitir.
Blesser les sentiments religieux?
La campagne pour l’abolition du délit de blasphème vise non seulement les lois relatives au blasphème, mais également celles qui interdisent d’insulter ou de ridiculiser une religion, ou de «blesser les sentiments religieux».
Cette action est portée par une coalition d’ONG menée par la Fédération Humaniste Européenne (FHE), l’International Humanist and Ethical Union (IHEU) et l’Atheist Alliance International (AAI) avec plusieurs partenaires nationaux. Dans le monde, près de 200 associations humanistes et laïques soutiennent la campagne dont, bien entendu, le Centre d’Action Laïque.
Pour la présidente de l’IHEU, Sonja Eggerickx, «à la suite des attaques de Charlie Hebdo, des appels ont été lancés pour abolir les lois relatives au blasphème dans tous les pays où elles existent. Nos organisations travaillent depuis de nombreuses années pour la protection du droit essentiel de questionner, critiquer et même tourner en dérision la religion. Au vu du nouvel élan contre ces lois anachroniques, nous croyons qu’il est nécessaire de travailler ensemble au-delà des barrières étatiques pour soutenir les voix locales qui appellent à abroger ces lois. L’idée qu’“insulter” une religion est un crime est la raison pour laquelle des humanistes comme Asif Mohiuddin sont emprisonnés au Bangladesh, des laïques comme Raif Badawi sont fouettés en Arabie Saoudite et des athéistes et des minorités religieuses sont persécutés dans toute une série de pays dont l’Afghanistan, l’Égypte, le Pakistan, l’Iran ou le Soudan.»
Une vidéo récemment postée sur les réseaux sociaux a relancé le débat; on y voit l’acteur britannique Stephen Fry interviewé par une icône de la télévision irlandaise, Gay Byrne (âgé aujourd’hui de 80 ans), qui lui demande ce qu’il dirait à Dieu s’il arrivait au paradis. Et Fry de répondre: «Je dirais, le cancer des os chez les enfants, ça rime à quoi? Comment osez-vous, comment avez-vous osé créer un monde affligé d’autant de misères dont nous ne sommes pas responsables? C’est vraiment infiniment malsain. Pourquoi respecterais-je un dieu assez capricieux, assez pervers, assez stupide que pour créer un monde où règne tant d’injustice et de douleur?»
Effet viral aidant, la vidéo a fait le tour du monde, suscitant des réactions en sens divers dont beaucoup stigmatisaient le «blasphème» de Stephen Fry qui aurait pu lui valoir, dans certains pays, une condamnation à mort…
Religions à fleur de peau
Le président de la FHE, Pierre Galand, a pour sa part expliqué que la «campagne ne vise pas les lois contre l’incitation à la haine, qui sont légitimes. Ce qui nous inquiète, ce sont les lois qui restreignent la liberté d’expression sur la religion. La première étape de notre campagne est de demander l’abolition des lois contre le blasphème et l’insulte religieuse en Europe. Il y a un double standard évident alors que l’Union européenne s’est clairement prononcée contre ces lois dans le monde. Nous devons encourager les États membres à suivre les recommandations du Conseil de l’Europe et à abolir les lois relatives au blasphème».
Il s’agit donc d’appeler les instances internationales et les dirigeants du monde à reconsidérer les lois y relatives pour défendre la liberté d’expression sans laquelle il n’y a pas de pluralisme ni de débat d’idées, éléments essentiels pour la démocratie.
On sait que dès qu’il s’agit de religion, les sensibilités se crispent; les nombreux débordements sociétaux que l’on peut attribuer, de près ou de loin, aux croyances exacerbées finissent par affaiblir la détermination des défenseurs des libertés. Le nombre de manifestations culturelles amputées, autocensurées ou carrément annulées sous la pression de mouvements intégristes ne faiblit pas, et ce n’est pas l’»affaire Charlie» qui va encourager les blasphémateurs à remettre le couvert. Ils seront immédiatement taxés d’»irresponsablilité» et de trompe-la-mort. À ce stade, ce sont les obscurantistes qui gagnent et la liberté d’expression qui capitule en rase campagne.
Le débat sur les lois réprimant le blasphème est donc essentiel au maintien de nos libertés. Ne pas l’ouvrir, c’est laisser le champ libre aux fossoyeurs de la caricature, de l’esprit critique et du libre-arbitre. C’est livrer Raif Badawi au fouet de ses bourreaux. C’est reconnaître la légitimité de toutes les fatwas. C’est renoncer piteusement et lâchement aux acquis des Lumières. C’est saborder la laïcité et condamner la démocratie. Il est hors de question de sous-estimer l’importance de se dresser contre les lois réprimant le blasphème, alors que nous constatons chaque jour combien nous sommes démunis face aux manifestations d’intolérance. La campagne lancée par les organisations laïques du monde entier vient nous le rappeler fort opportunément, au moment où nous en avons le plus besoin.