L’entretien d’Olivier Bailly avec Caroline Sägesser
L’enseignement de la religion est cadenassé par un texte vieux de… 57 ans. Depuis, de migrations en mutations, la société belge s’est à la fois sécularisée et «multiculturalisée». Fort de ce constat, le docteur en histoire Caroline Sägesser en appelle au remplacement des cours de religions et morale par un cours commun d’éthique, de citoyenneté, de culture religieuse et philosophique (ECCR). Les mentalités semblent prêtes. Le politique moins…
Espace de Libertés: Vous êtes repartie du propos de Patrick Loobuyck (docteur en philosophie à l’Université d’Anvers) pour l’adapter à la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’enseignement étant communautarisé, ne fallait-il pas tout réécrire?
Caroline Sägesser: C’est le paradoxe de l’organisation des cours de religions et morale en Belgique. Ils sont organisés par le Pacte scolaire qui date de 1958 et qui est bétonné dans… la Constitution, ce qui est devenu une entrave à l’autonomie des entités fédérées dans leur gestion de l’enseignement!
Malgré leurs différences, Flamands et francophones sont donc liés de la même manière à l’article 24 qui impose l’organisation des cours des religions reconnues et de morale non confessionnelle. En Flandre et suite à un recours au Conseil d’État, une possibilité de dispense existe. Un recours similaire a été introduit du côté francophone. Il est étrange qu’un article de la Constitution règle de manière aussi précise un enseignement. À la rigueur, on aurait pu comprendre qu’elle impose l’apprentissage des langues nationales, mais les cours de religions… Ce système offre beaucoup de choix. Six en Communauté française, huit en Flandre (anglicanisme et un cours culturel en plus), outre la dispense. Avec l’arrivée du bouddhisme, de l’hindouisme, la logique du Pacte scolaire vole en éclats. Le principe de pouvoir faire son shopping spirituel parmi les offres n’est plus tenable face à l’inflation du nombre de religions reconnues. Il faut se défaire du poids du passé et franchir l’obstacle politique. La mesure peut avoir un impact non négligeable avec une mise en place peu coûteuse et relativement rapide.
Rapide? Mais les professeurs devraient suivre un nouveau programme pour pouvoir dispenser ce cours.
Les professeurs de morale sont déjà bien formés. Ils sont les seuls avec les professeurs de religion catholique à suivre une formation soutenue par un programme détaillé. Je ne sais pas si les professeurs de religion voudront tous rentrer dans une démarche, plus neutre, d’enseignement du fait religieux… C’est un effort qu’il ne faut pas négliger. Ceci étant dit, les professeurs de religion catholique dans le réseau libre sont déjà confrontés aux autres religions et à des demandes de mises en perspective.
Ce cours ne se contentera pas de transmettre des savoirs.
C’est vrai. Le cours que nous proposons se veut une transmission de savoirs, (culture religieuse et philosophique, fonctionnement de la démocratie, droits de l’homme…), mais surtout un apprentissage du dialogue dans le respect mutuel, un développement de la pensée critique, une approche de la multiculturalité et de la mutliticultualité qui aide à la construction d’une citoyenneté adulte et responsable. Chacun y viendra avec ses propres valeurs. Il les confrontera ensuite aux valeurs des autres et enfin apprendra quel est le socle démocratique qui fonde notre société. L’élève doit parvenir à distinguer lui, l’autre et le socle commun. Par exemple, l’homophobie est un vrai problème dans la population scolaire bruxelloise. Le cours de religion peut se poser en porte à faux par rapport aux droits reconnus de la communauté gay et lesbienne. Il est important pour l’élève de prendre conscience de ces affrontements, de saisir dans quelle société il vit. Il manque un espace uniquement consacré à ce genre de débat.
L’accord de majorité PS-cdH évoque une heure d’éducation à la citoyenneté prise sur les deux heures de cours de religion. Ça vaut quelque chose, ça?
La solution actuelle est le fruit d’un compromis politique. Un compromis boîteux. Tous les partis voulaient une réforme, sauf le cdH qui voulait un aménagement de l’existant. Deux fois une heure de cours, c’est le risque de deux heures inconsistantes. Les programmes, la dynamique à mettre en place, tout devient plus compliqué. De plus, toute réforme doit toucher les deux réseaux et ici, ce n’est pas le cas.
Pourquoi cette nécessité des deux réseaux?
Le réseau libre doit aussi être impliqué dans la réforme des cours de religion. Si on les supprime dans l’officiel seulement, les catholiques resteront les seuls à offrir un cours confessionnel, ce qui serait injuste aux yeux des autres confessions. La meilleure solution consiste en l’introduction du cours d’ECCR dans toutes les écoles, les cours de religion et de morale non confessionnelle devenant facultatifs dans l’officiel. Il faut bien comprendre que le cours d’ECCR ne chasse pas le religieux des écoles. Ni le visible, ni l’invisible. On instaure un cours commun expliquant l’histoire de toutes les religions, à côté de l’histoire des grands courants philosophiques. Actuellement, dans le réseau officiel, l’élève ou ses parents sont obligés de choisir un cours de religion ou de morale, dès la première primaire… N’est-ce pas là enfreindre la liberté fondamentale de garder sa croyance dans la sphère privée, sans devoir en faire écho dans la sphère publique? Prenons l’exemple du cours de religion israélite: les parents peuvent être réticents à exposer leurs enfants à des remarques dans un climat de résurgence de l’antisémitisme. Peut-être seraient-ils soulagés de n’avoir plus ce choix à poser. Avec un cours de religions comparées, tout le monde entendrait parler du judaïsme, comme du christianisme et de l’islam…
Mais les élèves Juifs seraient forcément réactifs à la religion israélite, et donc d’autant plus exposés aux regards des autres.
Ils auraient au moins la liberté de s’identifier comme tels ou pas. Et la liberté de choisir leurs convictions. Pour l’instant, les enfants ne connaissent pas cette liberté et sont placés dans les traces religieuses de leurs parents dès 6 ans.
L’absence actuelle d’un cours d’ECCR, n’est-ce pas l’échec d’une laïcité incapable d’accueillir toutes les paroles, elle-même étant une parole religieuse parmi d’autres?
La laïcité est un terme qui est perçu de manière très particulière en Belgique. En raison de la présence du CAL, de l’humanisme athéiste, la laïcité politique peine à être un principe fédérateur pour les religions. Mais sur le fond, je ne pense pas qu’elles soient farouchement opposées à un cours transversal qui aborde toutes les religions. Les catholiques par exemple ne me semblent pas s’inquiéter de la perte du caractère confessionnel du cours de religion catholique. Depuis longtemps, leurs écoles ne sont plus fréquentées essentiellement pour des questions de conviction religieuse. Le vrai enjeu est sans doute celui de la fusion des réseaux, qui me semble souhaitable mais c’est un autre débat et il faut dissocier les enjeux. Le cours d’ECCR est bien plus facile à mettre en place…
Il faudrait tout de même changer la Constitution. Et changer la Constitution, c’est aussi facile que de réécrire la Bible…
Mais pas du tout! D’abord, il ne faudrait pas forcément changer la Constitution. Une interprétation littéraliste de l’article 24, qui tend à devenir dominante, souligne qu’il impose aux écoles l’obligation d’organiser les cours, et non aux enfants de les suivre… D’ailleurs, cette obligation pourrait être comprise comme une entrave à leur liberté fondamentale de vivre leur croyance de manière privée.
Ensuite, la Constitution est modifiable! Cela fait 40 ans qu’elle est… un chantier ouvert. Il serait absurde de s’en priver sur cette question d’autant plus que l’évolution des mentalités s’y prête et qu’une majorité des deux tiers me paraît accessible au Parlement. Je ne pense pas que la NVA ait un positionnement conservateur sur cette question. Seuls le CDV et le cdH s’y opposeraient probablement. Le problème est que l’enseignement étant communautarisé, ce n’est pas la priorité de l’agenda fédéral. Aux politiques des Communautés d’activer leurs relais. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour une réflexion plus en profondeur sur la place de l’enseignement religieux à l’école, il faut en profiter.