Les Européens ne peuvent plus fermer les yeux. L’attentat contre «Charlie Hebdo» les force à réagir. Sécurité à tous les étages? Pas encore. Mais, selon les points de vue, on progresse ou on régresse…
En septembre 2001, la Belgique assurait la présidence tournante européenne. Un trognon de présidence, comme il est coutume de considérer ces leaderships du second semestre largement rognés par les vacances d’été. La présidence belge alors emmenée par le libéral flamand Guy Verhofstadt partait de surcroît avec le handicap de ne pas connaître grand-chose aux affaires européennes. Les points figurant à son agenda manquaient de surcroît d’intérêt.
Le 11-Septembre allait toutefois chambouler la donne. Les cendres des Twins Towers n’étaient pas encore froides que les Américains débarquaient à Bruxelles pour y mettre la pression sur les Européens. Mohammed Atta et ses complices n’avaient-ils pas profité des faiblesses de la lutte européenne contre le terrorisme, sinon de sa quasi-inexistence? Sous la pression de l’administration Bush et du Patriot Act, les États membres de l’UE furent priés d’améliorer leur coordination policière et de livrer des informations en pagaille à Washington. Dont celles relatives aux passagers des avions à destination des États-Unis. Un dossier promis à faire parler longtemps de lui.
De là à revoir à la baisse les libertés données depuis quarante ans aux Européens par les Accords de Schengen, il n’y a qu’un pas.
L’espace Schengen remis en question
La preuve: à Riga, le 29 janvier dernier, les Vingt-Huit ont à nouveau décidé de tout mettre en œuvre pour que la base européenne de données des passagers soit enfin d’application. Depuis 2013, la gauche du Parlement européen, par principe tout autant que par souci de protéger les libertés individuelles, fait obstacle à la directive qui encadre sa création. La Cour de justice, elle, a invalidé sa base légale. Les États peinent donc à mettre en place le fondement logique d’une lutte antiterroriste digne de ce nom: la collecte d’informations, leur échange et, au bout du compte, la possibilité de mener des actions susceptibles de tuer dans l’œuf la menace.
À Bruxelles, les esprits s’échauffent. S’il n’obtient pas ce «PNR» (pour Passenger Name Record, NDLR) européen, le nationaliste flamand Jan Jambon qui contrôle l’Intérieur a promis de créer un équivalent belge. Cette base de données lui permettra de booster la coopération policière bilatérale et multilatérale, dit-il. L’exemple vient notamment de Londres, la Grande-Bretagne ayant jalousement conservé son autonomie en matière de sécurité intérieure et extérieure via des opt-out (options de retrait) concédés par le passé. Le paradoxe veut que, jusqu’ici, les Britanniques étaient plutôt considérés au «16, rue de la Loi» comme des entraves à la construction européenne.
De là à revoir à la baisse les libertés données depuis quarante ans aux Européens par les Accords de Schengen, il n’y a qu’un pas. Rencontrant l’avis du coordinateur antiterroriste Gilles de Kerchove, les ministres de l’Intérieur veulent systématiser la vérification des informations de police relatives aux ressortissants de l’UE aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Jusqu’à présent, cet examen se borne à la validité des documents. La mesure aurait inévitablement pour effet d’entraver la libre circulation des personnes qui compte parmi les plus belles réalisations de l’Union. Échec ou nécessité? La question est appelée à nourrir de longs débats.
Le piège du terrorisme
Nul doute que le réflexe sécuritaire devrait ici l’emporter, au moins partiellement. Car l’Europe occidentale recèle désormais un réservoir potentiel de terroristes de plus en plus incontrôlable. En janvier dernier, un think tank londonien estimait qu’en un an, le nombre de djihadistes issus de nos pays avait doublé, passant de 2000 à 4000, soit environ 20% des forces de Daesh. La Belgique compterait parmi les cinq premiers pays européens pourvoyeurs de chair à canon pour le djihad. Quatre cent quarante jeunes, essentiellement venus de Flandre et de Bruxelles, auraient rejoint la Syrie pour combattre le régime de Bachar al-Assad. Selon d’autres chiffres, une centaine seraient morts sur place. D’autres seraient revenus au pays. Le nombre de ces derniers est estimé de 30 à 80, selon les différentes sources. Ce sont eux qui donnent des cheveux blancs aux polices européennes. Par définition, ces chiffres sont nébuleux. Mais les attentats perpétrés contre Charlie Hebdo et le musée juif de Bruxelles servent à tout le moins la cause sécuritaire. Parfois dans la précipitation.
De tous côtés en effet, des mesures de sécurité sont avancées par les États membres de l’UE. Les ministres européens des Affaires étrangères ont évoqué ainsi le 19 janvier dernier la création d’un réseau d’agents de sécurité à l’étranger, dans le cadre d’une réponse commune à la menace djihadiste. En réalité, loin d’être coordonnées, les réponses restent majoritairement nationales. Le 16 janvier, la Belgique a ainsi adopté une série de douze mesures de sécurité. Elles concernent entre autres les écoutes téléphoniques rendues plus «flexibles». Le gel des avoirs des combattants étrangers et la possibilité de déchoir les terroristes de leur nationalité belge font partie également des biais de coercition retenus. L’extension du retrait de la nationalité belge aux petits-fils de l’immigration a déjà fait couler beaucoup d’encre, provoquant au passage une prise de bec entre le ministre-président de la Région bruxelloise Rudi Vervoort et le gouvernement Michel. Berlin compte pour sa part confisquer pendant trois ans les cartes d’identité des extrémistes potentiellement violents. En Grande-Bretagne, David Cameron promet –s’il gagne les prochaines élections– de donner jour à une législation «complète» qui léguerait davantage de pouvoirs aux services de renseignement en ce qui concerne la surveillance d’Internet et des données téléphoniques. Etc., etc.
Bref, les initiatives visant à renforcer la lutte contre le radicalisme et le terrorisme se multiplient un peu partout en Europe. Les plans de déradicalisation et, plus largement, la réflexion sur les causes du djihad européen passent de toute évidence au second plan.