Espace de libertés – Mars 2015

Du fœtus à l’enfant: menace sur l’IVG


Libres ensemble

Depuis plusieurs années, les projets et propositions de lois (1) déposés au Parlement afin de modifier le statut des fœtus nés sans vie se multiplient, non sans conséquences potentielles sur le droit à l’avortement.


L’article 80 bis du Code civil stipule que tout enfant né sans vie à partir du 180e jour (25,7 semaines) de grossesse a une existence légale. En effet, si l’enfant est décédé au moment de sa naissance, un acte de déclaration d’enfant sans vie est dressé par l’officier de l’état civil, par le médecin ou l’accoucheuse avec, notamment, le jour, l’heure et lieu de l’accouchement, le sexe ainsi que les prénoms de l’enfant si leur mention est demandée. Cet acte est ensuite inscrit dans le registre des décès de la commune du lieu de l’hôpital.

A contrario, le fœtus né sans vie moins de 180 jours après sa conception n’a pas d’existence sur le plan civil. En cas de fausse couche ou d’avortement avant 26 semaines de grossesse, celui-ci est alors considéré comme, rudesse et maladresse des mots, un «déchet hospitalier». Cependant, sur le plan psychologique et personnel, outre la proposition d’un accompagnement par l’équipe hospitalière, les parents ont la possibilité de procéder à des rituels de deuil ainsi qu’à la dispersion des cendres ou l’inhumation dans des «parcelles d’étoiles» réservées dans des cimetières.

La volonté de faciliter le deuil des parents ne serait-elle pas mieux rencontrée dans le cadre d’une prise en charge adéquate de ces couples, tant sur le plan affectif que psychique, plutôt que par la délivrance d’un document administratif?

Une constante: abaisser le seuil

À l’analyse de ces propositions de loi, deux éléments importants méritent d’être soulevés. D’une part, ces textes contiennent de nombreuses différences entre eux, notamment quant au seuil de semaines de grossesse à prendre en compte pour délivrer un acte de déclaration d’»enfant» sans vie. En effet, certains députés proposent un seuil de 106 jours de grossesse (15 semaines) (2), d’autres de 140 jours (20 semaines) (3). De même, certaines de ces propositions préconisent que le nom de famille puisse apparaître en plus du prénom, d’autres, non. Elles divergent également sur le support à donner à de telles déclarations (registre de l’état civil, registre spécial consigné au sein de l’hôpital).

D’autre part, tous les députés à la base de ces propositions s’accordent en revanche sur la nécessité d’abaisser le seuil afin de faciliter le deuil des parents, et ce, notamment au regard des progrès de la néonatalogie.

Une volonté politique…

Le gouvernement Michel Ier indique vouloir légiférer rapidement sur la question. L’accord de gouvernement (4) et, plus récemment, la commission Justice de la Chambre par la voix du ministre de la Justice Koen Geens (5) précisent tous deux que sera adoptée, au plus tard avant l’été 2015, une loi dans ce sens, en tenant compte des propositions déjà déposées et notamment celle de l’Open VLD prévoyant la possibilité pour les parents de déclarer leur enfant né sans vie et de lui donner un nom de famille à partir de 15 semaines de grossesse (106 jours à partir de la conception).

Pour le Centre d’Action Laïque, bien que la souffrance des parents ayant vécu une fausse couche ou un avortement thérapeutique doive être entendue et pourrait faire l’objet d’aménagements légaux, ces divers textes de loi posent problème et soulèvent de nombreuses questions.

… mûrement réfléchie?

Pour quelles raisons, d’emblée, le gouvernement a-t-il fait le choix d’une proposition de loi prenant en compte le seuil le plus bas? Il est regrettable que la reconnaissance implicite d’un statut juridique au fœtus mort-né soit une nouvelle fois à l’agenda. L’inscription de celui-ci dans un registre de l’état civil et le fait de lui donner un prénom et un nom dans un délai aussi proche que celui de l’IVG pourrait constituer une brèche dans la législation relative à l’avortement, brèche dans laquelle ne manqueront pas de se ruer ses éternels opposants (6). En effet, cette reconnaissance entraînerait l’octroi d’une existence légale au fœtus –pourtant ni vivant, ni viable– et donc, aurait comme conséquence une condamnation implicite des IVG tardives, dès lors apparentées à des infanticides. Cela pourrait également constituer un moyen de pression pour culpabiliser les femmes qui ont décidé de ne pas poursuivre une grossesse. En veut pour preuve le glissement sémantique présent dans toutes les propositions où il est question d’»enfant» mort-né ou sans vie et non de «fœtus».

De surcroît, cette reconnaissance ne risque-t-elle pas d’entraîner également un frein à la recherche scientifique dès lors qu’on reconnaît un statut aux embryons ou fœtus? Et surtout, ces propositions ne confondent-elles pas la volonté de prise en compte de paramètres d’ordre psychologique (faciliter le deuil) avec des éléments de droit? Il n’appartient pas à la loi de dire comment et quand faire le deuil d’une fausse couche. La volonté de faciliter le deuil des parents ne serait-elle pas mieux rencontrée dans le cadre d’une prise en charge adéquate de ces couples, tant sur le plan affectif que psychique, plutôt que par la délivrance d’un document administratif?

Enfin, ces diverses propositions invoquent également les progrès de la néonatalogie pour justifier l’abaissement du seuil. Il importe cependant de rappeler qu’aujourd’hui, dans bon nombre d’hôpitaux, les médecins refusent de réanimer un fœtus lorsque celui-ci naît avant 24 semaines de grossesse. Nous ne sommes donc pas si loin des délais fixés à l’époque dans le Code civil. Difficile, dès lors, de comprendre cette justification.

De manière plus pragmatique, ne faudrait-il pas se pencher sur la question de l’ouverture des droits sociaux et fiscaux (congé de maternité, prime de naissance) des femmes qui ont accouché d’un enfant mort-né avant 180 jours et qui n’ont actuellement droit à rien (si ce n’est à un congé pour maladie si elles en font la demande). Ne serait-il pas important de leur offrir la possibilité d’obtenir les mêmes droits que celles qui accouchent à 26 semaines de grossesse?

En conclusion, si toutefois ce débat s’invitait au Parlement, le CAL insiste pour que d’une part, le Comité consultatif de bioéthique soit consulté et puisse éclairer les parlementaires sur les points soulevés ci-dessus et d’autre part, pour que le Parlement prenne le temps de discuter de ces propositions avec des experts des centres hospitaliers qui ont développé une expertise importante et des protocoles rigoureux en la matière.

 


(1) Propositions de l’Open VLD (31 mars 2011), du CDH (29 janvier 2009 et 24 octobre 2014), du Spa (20 janvier 2015) et du CD&V (10 septembre 2014).
(2) Propositions de l’Open VLD (31 mars 2011) et du CDH (29 janvier 2009 et 24 octobre 2014).
(3) Propositions du SPA (20 janvier 2015) et du CD&V (10 septembre 2014).
(4) Exposé d’orientation politique «Justice», 13 novembre 2014, p. 36.
(5) Commission Justice de la Chambre, 7 janvier 2015.
(6) Et on sait qu’ils demeurent nombreux…