Espace de libertés – Mars 2015

Apprendre le respect de soi et de l’Autre


Dossier

La France a vécu un moment de solidarité nationale fort, le 11 janvier dernier, juste après les attentats criminels qui ont abouti à l’assassinat des membres de l’équipe de «Charlie Hebdo» parce qu’ils exerçaient leur droit au blasphème par le biais des caricatures, et contre des juifs français parce qu’ils étaient juifs. Ces attentats ont été commis par des terroristes djihadistes. On peut marquer notre indignation face à l’obscurantisme, mais on ne peut faire l’économie de la question: comment en sommes-nous arrivés là?


En Belgique, l’élan de solidarité s’est également manifesté pour soutenir les Français endeuillés. Nous nous sommes sentis concernés d’abord en tant qu’êtres humains mais aussi, en tant que victimes de cette même barbarie. Le 24 mai 2014, le Musée juif de Bruxelles avait été le théâtre d’un attentat antisémite qui a causé la mort de plusieurs personnes. Des terroristes djihadistes y sont impliqués. C’est l’esprit de janvier 2015 que l’histoire retiendra. Depuis 2006 à ce jour, le Comité belge Ni Putes Ni Soumises (NPNS), par le biais de conférences-débats, de théâtre-débats, mais aussi par des outils tels que le Guide et le Kit du respect, n’a cessé d’alerter notre société contre cet islamisme rampant, cet obscurantisme larvé qui génère une décomposition du lien social, favorise l’antisémitisme, le racisme, l’homophobie, le sexisme, le machisme et la misogynie. La présence d’un tel cocktail de «mal vie» ne peut qu’aboutir à des inégalités, entre les êtres humains en général et plus spécifiquement entre les hommes et les femmes puisque ce système se structure sur un modèle patriarcal. Si l’intégrisme a gagné du terrain, c’est aussi parce que l’on n’a pas voulu nous entendre; on ne nous a pas écoutés, dans le but de préserver les différentes sensibilités. Certains ont même été jusqu’à négocier le pacte social avec le radicalisme, autour de l’accès séparé à la piscine ou la viande halal dans certaines écoles par exemple.

Certains ont manifestement opté pour l’aveuglement. Il y a trois institutions qui participent à l’éducation d’un enfant: la famille, les mouvements de jeunesse et l’école. Si les deux premières échappent aux regards de la collectivité, l’école reste donc bien le lieu de transmission de la mixité, de l’égalité, de la laïcité (la devise du mouvement NPNS) et de la tolérance. Mais alors, comment expliquer qu’un enfant puisse vous dire que «les journalistes l’ont bien cherché», comment expliquer que certains élèves refusent d’adhérer à la minute de silence demandée par l’école? Il est grand temps de faire l’analyse de la situation pour procéder à quelques changements dans le but de prévenir d’autres vagues de terreur.

L’école en questions

L’heure est venue d’instaurer un cours de citoyenneté dans les écoles, d’enseigner l’histoire du fait religieux à la place des cours de religion qui séparent les élèves entre eux. Il est grand temps de valoriser la laïcité de manière active, car elle représente une chance pour le vivre ensemble. La laïcité c’est ce qui nous permet, dans le cadre de la diversité culturelle, d’enrichir notre esprit par la présence de l’Autre, celui qui est différent, sans l’effacer et sans être effacé par cet Autre.

Le cadre laïque offre, grâce à l’esprit critique et l’esprit citoyen émanant de ce cadre, la possibilité de prendre conscience de nos valeurs et du degré de liberté qui s’offrent à nous grâce à ce cadre de vie.
Le Comité belge NPNS a conçu des outils de travail: le Guide et le Kit du respect. Le Guide du respect est un livre de 84 pages conçu pour un public jeune, qui répertorie des adresses, des informations juridiques, sociales et autres, une sorte de trousse de secours qui peut aider à s’orienter en fonction de ce que les jeunes recherchent. Le Kit du respect comprend un jeu de cartes, des photos et un DVD. Il est destiné à toute personne désireuse d’apprendre à ces jeunes les principes de mixité, d’égalité et de laïcité. Il s’adresse aussi aux éducateurs, aux enseignants, aux moniteurs… Les photos reprennent des scènes de la vie quotidienne grâce auxquelles on tente de dénoncer les stéréotypes sexistes, homophobes et autres. C’est un outil très intéressant, car il est interactif.

Avec les élèves

La notion de respect est entendue comme un antidote puissant face aux violences rencontrées. Apprendre à se respecter et respecter l’Autre, c’est donc apprendre comment prendre sa place en société.

Le Guide et le Kit du respect traitent des trois grands thèmes que sont les traditions qui nous enferment, les violences et la sexualité. La notion de respect y est entendue comme un antidote puissant face aux violences rencontrées. Apprendre à se respecter et respecter l’Autre, c’est donc apprendre comment prendre sa place en société. Or l’école est aussi le lieu où l’on apprend le respect de soi et celui de l’Autre. Le Comité belge NPNS organise des modules de formation avec des adultes (enseignants, éducateurs) pour leur apprendre à utiliser le Kit du respect avec leurs élèves.

Par manque de moyens, nous n’avons pas pu continuer ces modules de formation en 2014. En tant que présidente du Comité belge NPNS, j’ai été invitée, à plusieurs reprises par la direction des différentes écoles secondaires de la région bruxelloise pour débattre de la mixité de l’égalité et de la laïcité, avec les élèves au départ du Kit du respect. J’ai procédé à un simple exercice. J’ai formé plusieurs groupes de quatre à cinq élèves. Chaque groupe a reçu une photo traduisant une scène de la vie quotidienne et renfermant un ou des stéréotypes. Un rapporteur ou une rapporteuse a été désigné(e) dans chaque groupe pour la photo reçue. C’est alors que le dialogue s’est installé avec les élèves. Pour que la parole circule au mieux, la règle d’écoute de l’Autre est de mise.

Le genre au cœur des débats

Il ressort de ces échanges très instructifs qu’ils aboutissent presque inévitablement à la question du genre, qui n’est rien d’autre qu’une construction sociale qui impose à la femme une place particulière et un rôle particulier. J’apprends de ces échanges que ces jeunes ont une totale méconnaissance de l’Autre et parfois même d’eux-mêmes! Les filles me posent des questions sur la notion de virginité et sont bien incapables de me dire à quoi ressemble l’hymen censé la symboliser ainsi que son emplacement! Les garçons, quant à eux, se sentent investis d’un rôle de protection vis-à-vis des filles et comme contrepartie, ils décident de tout, pour les filles! Ils se montrent les gardiens de la tradition et de la religion.

Ces moments privilégiés m’informent de l’esprit ambiant, en tant que féministes, présidente du Comité belge NPNS, mais aussi en tant que médecin psychiatre désireuse de connaître l’évolution psychologique de notre société. Je me souviens de quelques interventions fortes, celle d’une élève qui a levé le doigt pour me parler, mais donc pour dire aussi à toute la classe qu’elle avait été excisée. Elle avait pour la première fois marqué le désir de l’exprimer publiquement. Cette intervention s’est produite juste après qu’une élève eut annoncé qu’elle s’était présentée à l’hôpital pour une visite gynécologique et demandé au gynécologue de rédiger un certificat de virginité qu’elle garde précieusement dans un coffre pour le moment venu.

Le résultat des ces expériences nous a permis de conclure qu’il fallait que le Comité belge NPNS puisse s’engager avec le CAL, les centres de planning familial et d’autres associations pour stimuler la généralisation, dans nos écoles, des modules d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS), que nous nous engagions dans la plateforme AbortionRight pour protéger nos droits acquis vu la recrudescence des mouvements anti-avortement dans toute l’Europe. Mon passage dans ces écoles avec le Kit du respect m’a permis aussi de prendre conscience des phénomènes de mariages prétendument arrangés et qui ne sont rien d’autre que des mariages forcés. Cela nous a permis de nous inscrire comme l’un des membres fondateurs du Réseau mariages et migrations avec d’autres associations bruxelloises.

L’urgence actuelle est d’arrêter de dénigrer nos valeurs laïques garantes du vivre ensemble au nom d’un communautarisme qui s’insinue de manière pernicieuse dans notre pacte social. Détectons-le à temps et affirmons avec force et vigueur nos valeurs humanistes, universalistes, laïques et démocratiques.