Face au silence assourdissant auquel certains veulent réduire la liberté d’expression, une seule solution: faire encore plus de bruit! Surtout à destination des plus jeunes. Grâce, notamment, à une reconnaissance d’utilité publique de certaines pièces de théâtre.
«Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.» Cette sentence plus qu’adaptée à la psychose ambiante qui agite tous les milieux, secteur culturel compris (l’interruption de récent Ramdam festival à Tournai en constitue l’un des meilleurs exemples), signée Benjamin Franklin, crée de plus en plus d’émules. Car, après la gueule de bois suscitée par l’attentat anti-Charlie, il est surtout temps de l’ouvrir bien fort.
Et surtout envers un public plus jeune, par nature très exposé aux discours de haine et de radicalisme véhiculés par les réseaux sociaux. Deux spectacles ont été sélectionnés à ce titre, et déclarés «d’utilité publique» par Fadila Laanan, ministre-présidente du Collège de la commission communautaire française en charge de la Culture et de l’Enseignement: Un homme debout de Jean-Michel Van Den Eeyden et Djihad, signé par Ismael Saïdi. Soit un duo de pièces dont le sujet et le message interpellent et font réfléchir.
La première retrace le parcours personnel de Jean-Marc Mahy. Qui se raconte d’ailleurs lui-même sur scène. À 36 ans, ce dernier a enfin commencé sa vie… Car, avant cela, l’autonomie, la liberté, la société, tout lui était étranger ; en prison depuis l’âge de 17 ans, il a «vécu comme un assisté durant près de 20 ans…» Son urgence aujourd’hui? Faire en sorte que d’autres jeunes ne connaissent jamais son expérience. Bilan: un spectacle qui remue et montre comment la prison demeure un lien direct avec la violence et la souffrance du monde.
Le débat, tout aussi utile
De son côté, Djihad résonne plus directement avec la tragique actualité récente. Il suit les pérégrinations de trois jeunes décidant de partir en Syrie pour donner un soi-disant sens à leur vie. Le périple constituera l’occasion pour eux d’interroger leurs certitudes, et de se confronter à une réalité qu’ils ne soupçonnaient pas… Un spectacle qui réussit le pari difficile de faire rire et réfléchir sur un sujet grave et sensible. «Fadila Laanan connaissait cette pièce avant les événements parisiens. Qui ont mené à des radicalisations en tous genres d’un côté, et à une islamophobie accrue de l’autre», précise Ben Hamidou, l’un des trois comédiens à l’affiche. «Et elle a donc pu décider très vite de la reconnaître d’utilité publique. Nous la jouons désormais face à un public “habituel”, mais aussi lors de nombreuses représentations spécifiquement destinées aux écoles du secondaire.» (1)
Mais même s’il se réjouit de la tournure que prennent les choses «car plus le spectacle est vu, plus on en parle et plus nous pourrons évoluer vers une sensibilisation», Hamidou pointe aussi le reste du chemin à accomplir. «Ces séances doivent être encadrées ! Si un enseignant emmène ses élèves voir le spectacle, sans introduire le sujet ou en parler après, cela ne sert pas à grand-chose. Comme je le répète souvent: “Je suis juste acteur!” À côté des comédiens, il faut qu’un historien ou qu’un spécialiste quelconque aborde les choses avec ces jeunes. Pour mettre le tout en perspective et nous accompagner, nous les gens de spectacle, dans notre démarche. Bref, nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne. Essentiel, certes, mais pas suffisant pour que le travail de sensibilisation aboutisse. L’affirmation de la liberté d’expression et la lutte contre tous les radicalismes sont un véritable travail d’équipe. Tout le monde doit en être conscient.»
D’autres spectacles devraient rejoindre d’ici peu cette liste «d’utilité publique». Sur la base de choix effectués par des artistes et des enseignants, qui constitueront un jury dont les contours et les modes de sélection demeurent encore assez flous. Mais, après l’urgence dictée par l’actualité, le tout se doit de devenir plus précis et transparent le plus rapidement possible. Seule manière pour que cette initiative ne sombre dans des luttes intestines et des sélections forcément taxées de « partisanes » ou d’« arbitraires » si elles ne sont pas pleinement discutées et justifiées.
(1) Suite à l’invitation de la Ministre de l’Éducation et de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles Joëlle Milquet, près de 3000 élèves se sont inscrits en 2 jours à peine et pourront assister à l’une des 17 représentations – suivies d’un débat – réservées au public scolaire, NDLR.