Plus de 130 millions de filles et de femmes de par le monde ont subi une forme de mutilation génitale: clitoridectomie, excision, infibulation ou toute autre intervention nocive pratiquée sur les organes féminins à des fins non thérapeutiques. Trente millions d’autres filles risquent d’en être victimes au cours des dix prochaines années (1). Et la Belgique n’est pas épargnée.
Si plus de 27 pays africains sont concernés par les mutilations génitales féminines (MGF), d’autres pays moins connus au Moyen-Orient ou en Asie les pratiquent également, comme l’Irak (population kurde) ou l’Indonésie. En Afrique, la prévalence diffère beaucoup selon les régions, y compris au sein même des pays. Le groupe ethnique et la région de résidence en sont les facteurs déterminants. La pratique est très ancienne, elle remonte au temps des pharaons en Haute-Égypte. Aujourd’hui, on continue à exciser les filles pour les «purifier», pour assurer leur virginité et les rendre «mariables». L’excision est devenue une norme sociale. Les mutilations génitales sont une violence de genre, et elles sont souvent le début d’autres violences: mariage forcé, grossesse non désirée et précoce due au non-accès à la contraception et aux rapports non consentis au sein du couple, violences intrafamiliales, lévirat (2)…
Tous les types de mutilations peuvent entraîner des complications à des degrés divers. Il n’y a pas de «petite» mutilation. Les complications immédiates sont l’hémorragie et les infections, des fillettes pouvant y laisser leur vie. Les complications possibles à long terme sont des infections urinaires et génitales récidivantes, des douleurs chroniques, la perte du désir et plaisir sexuels, des risques de déchirures et hémorragie à l’accouchement.
Pour les familles établies en Europe, même si la migration réduit le risque d’excision, elle ne l’efface pas complètement car la pression sociale est toujours présente, et des familles envoient leurs filles dans le pays d’origine pour être excisées ou organisent des excisions en Europe via des exciseuses traditionnelles ou des médecins qui acceptent de le faire illégalement (puisque la pratique est punie dans la majorité des pays européens).
Les mutilations génitales sont une violence de genre, et elles sont souvent le début d’autres violences.
Et en Belgique?
Au 31 janvier 2012, on estimait à 48.092 le nombre de femmes et filles originaires d’un pays où l’excision est pratiquée. Parmi celles-ci, 13.112 sont très probablement excisées et 4084 risquent de l’être (3). La Région flamande (6761 filles et femmes déjà excisées ou risquant de l’être) et la Région de Bruxelles-Capitale (5831) sont les régions les plus concernées suivies de la Région wallonne (3303). On doit y ajouter 1300 filles et femmes demandeuses d’asile qui n’ont pas été réparties dans les trois régions, comme elles ne sont pas enregistrées au registre national. Les données désagrégées par province nous renseignent sur la répartition de la population cible entre les grandes villes du pays. Après Bruxelles (5831 filles et femmes excisées ou à risque de l’être), les provinces les plus concernées sont Anvers (3125) et Liège (1794).
Le risque d’excision existe en Belgique comme le montrent différentes études: en 2006, une enquête réalisée auprès de gynécologues flamands (334 répondants/724 questionnaires envoyés) montrait que 58,4% des répondants avaient vu en consultation une ou des femmes/filles mutilées (4). Parmi 328 répondants, six ont reçu une demande d’excision et 13 ont été questionnés pour savoir si l’excision pouvait se faire en Belgique.
En 2007, un sondage réalisé auprès de 254 membres du Groupement des gynécologues obstétriciens de langue française de Belgique (5) révèle que huit demandes d’excision ou d’infibulation ont été formulées cette année-là. À ce jour, aucun procès n’a eu lieu en Belgique. Plus récemment, une recherche-action réalisée dans le cadre du Réseau des stratégies concertées de lutte contre les MGF montre que le nombre de signalements d’enfants à risque d’excision, notamment à l’occasion d’un retour dans le pays d’origine pendant les vacances, augmente en Belgique (6).
Lutter contre ces pratiques
L’intégration des mutilations génitales féminines, des mariages forcés et des violences liées à l’honneur dans le Plan d’action national contre les violences 2010-2014 a permis de soutenir le travail de terrain. Du côté des avancées, le GAMS Belgique, qui travaille principalement avec les communautés concernées, offre un soutien individuel et des activités de groupe pour les femmes excisées. Il s’est étendu et compte aujourd’hui trois antennes en plus que Bruxelles (Anvers, Namur, Liège). Une ASBL spécialisée dans les aspects juridiques de l’excision et des mariages forcés, INTACT ASBL, a été créée en 2009 pour répondre plus spécifiquement aux besoins des familles et des professionnels en matière de protection nationale et internationale. Un guide bilingue et multidisciplinaire pour les professions concernées a été diffusé largement par le SPF Santé publique et des formations ont été organisées pour les professionnels des maternités, l’ONE, les PSE… Deux centres de prise en charge des femmes excisées ont été ouverts depuis avril 2014 au CHU St-Pierre et à l’UZ de Gent dans le cadre d’une convention avec l’INAMI. La prise en charge multidisciplinaire (sexo, psycho, chirurgie) est entièrement remboursée. Des études de prévalence pour évaluer le nombre de femmes excisées et de filles à risque ont été réalisées en 2010 et 2014 et, enfin, un «kit de prévention des MGF» (reprenant plusieurs outils permettant d’évaluer la situation et le niveau de risque, et d’agir en conséquence), disponible en néerlandais et français, a été lancé officiellement à l’occasion de la journée contre l’excision ce 6 février 2015 (7).
Reste encore à introduire la thématique dans la formation de base des professionnels de la santé, des secteurs social et juridique, à améliorer la chaîne d’information entre les différents organismes qui suivent les infos car on perd de vue des familles à risque –on pourrait prendre exemple sur la Hollande et de son dossier informatisé unique de médecine préventive de 0 à 18 ans– et à renforcer le travail de prévention via un soutien structurel aux associations de terrain, car le financement annuel fondé sur une approche projet rend le statut des ASBL très précaire.
(1) Female Genital Mutilation/Cutting: a statistical overview and exploration of the dynamics of change, UNICEF, New-York, 2013
(2) Remariage avec le frère du mari en cas de décès.
(3) Dominique Dubourg et Fabienne Richard, Étude de prévalence des femmes excisées et des filles à risque d’excision en Belgique, SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, Bruxelles, 2014.
(4) Els Leye E., Ilse Ysebaert, Jessika Deblonde, Patricia Claeys, Gert Vermeulen, Yves Jacquemyn, et al., «Female genital mutilation: knowledge, attitudes and practices of Flemish gynaecologists», in The European Journal of Contraception and Reproductive Health Care, n°13(2), 2008, pp. 182-190.
(5) Croyances, traditions et délivrances des soins médicaux. Rapport du groupe de travail Éthique et économie: gynécologie-obstétrique et multiculturalité, Bruxelles, Groupement des gynécologues obstétriciens de langue française de Belgique, 2009.
(6) Marie De Brouwere, Fabienne Richard et Myriam Dieleman, Recherche-action sur les signalements de mutilations génitales féminines. Enquête menée au sein des associations belges spécialisées, Bruxelles, GAMS Belgique, 2013.
(7) Marie De Brouwer, «Kit de prévention des mutilations génitales féminines», mis en ligne le 27 mai 2014, sur http://www.strategiesconcertees-mgf.be.