Espace de libertés – Mars 2015

Si la plume et l’encre du dessinateur de presse en disent souvent plus (et mieux) que les mots d’un article, l’actualité récente a montré que le coup de crayon n’était pas forcément toujours plus fort que le coup de feu. Raison pour laquelle l’organisation Cartooning for Peace, lauréat du prix Henri La Fontaine 2014, est plus essentielle que jamais.


Au siège du journal Le Monde, le bureau de Jean Plantureux, plus connu sous le pseudo de Plantu, possède une double fonction. Il est non seulement l’antre d’où sortent les célèbres dessins qui font rire des milliers de lecteurs à chaque édition, mais aussi le siège de Cartooning for Peace, un réseau de plus de 100 caricaturistes politiques du monde entier, tous engagés à transmettre, à travers leurs dessins, un message de tolérance et de compréhension interculturelles.

«Les dessins humoristiques nous font rire. Sans eux, nos vies seraient bien plus tristes. Mais il n‘y a cependant pas que matière à s’esclaffer: les dessins ont aussi le pouvoir d’informer, voire de choquer.» C’est en ces termes que Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, avait lancé l’idée que les dessinateurs pouvaient aussi bien transmettre un message de paix que susciter la polémique et la réflexion. Cet événement remonte à 2006, peu de temps après la fameuse controverse des caricatures danoises du prophète Mahomet, et les violentes manifestations qui ont suivi dans le monde entier. Il a scellé l’extrait d’acte de naissance de l’organisation Cartooning for Peace. Même si l’idée remontait en fait à 15 ans avant cette date fatidique…

En novembre 1991, lors d’une exposition de ses travaux organisée à Tunis, Plantu avait en effet déjà expérimenté le pouvoir politique des dessins humoristiques. Lors d’un moment surréaliste. Même si le leader palestinien Yasser Arafat n’avait pas reconnu officiellement l’État d’Israël, il le fit pourtant de manière symbolique aux côtés du dessinateur médusé! En dessinant un simple drapeau israélien sur une feuille de papier totalement anonyme. «Grâce à un feutre bleu, il a véhiculé un message qu’il n’aurait jamais été capable de prononcer à haute voix», affirmait récemment Plantu, rencontré en novembre dernier pour parler de l’excellent documentaire Caricaturistes. Fantassins de la démocratie. «Là, à côté d’Arafat, j’ai découvert que des individus pouvaient se comprendre en silence. Et je me suis dit que ce serait bien, un jour, de créer une telle association.»

Une mission de promotion et de veille

À travers des expositions internationales, des réunions et des livres, Cartooning for Peace mène également des campagnes destinées à défendre des dessinateurs menacés par leurs propres gouvernements. Ce fut par exemple le cas du caricaturiste syrien Ali Ferzat, à qui on a cassé les deux mains en 2011 pour l’avertir de ne plus s’attaquer à Bachar el-Assad; ou encore de la dessinatrice vénézuélienne Rayma Suprani, qualifiée de «terroriste graphique» pour avoir trop ouvertement critiqué Hugo Chavez. «Dans ces situations, notre mission est de veiller à ce que tout le monde soit au courant. S’assurer que personne n’ignorera la situation, quelle que soit l’issue pour ces dessinateurs, est un moyen de les protéger», continue Plantu.

«Internet a permis d’accroître considérablement l’impact et l’exposition dont bénéficie le dessin humoristique. Alors que les dessins peuvent être source de conflit, des organisations telles que Cartooning for Peace sont essentielles, justement car elles sont en mesure de réconcilier le bien et le mal», explique la dessinatrice américaine Liza Donnelly. Membre du groupe depuis sa création, elle sait que quelques lignes bien tracées possèdent un pouvoir immense. «Les dessins humoristiques sont capables de traverser des frontières infranchissables pour les mots, poursuit-elle, car ils parlent un langage universel. Ils nous aident à réaliser que nous aimons tous les dessins, que nous aimons tous rire et nous comprendre les uns les autres.» Il ne reste plus qu’à propager le message le plus loin et le plus fort possible. Et vu l’ampleur de la tâche, surtout dans le contexte actuel, le message de paix délivré par Cartooning for Peace se doit d’être appelé à un… dessein carrément universel!