Espace de libertés | Octobre 2018 (n° 472)

Libres ensemble

Depuis 2006, les étrangers non européens résidant en Belgique depuis plus de cinq ans, peuvent participer aux élections communales. Une avancée démocratique qui se heurte à un constat : leur taux de participation est encore très faible. Ces derniers mois, à l’approche des élections du 14 octobre, les associations et (certaines) communes ont mis les bouchées doubles afin de sensibiliser les non-Belges à leur droit.


Ils avaient jusqu’au 31 juillet pour s’inscrire. Bilan: ils sont un peu plus de 160 000 résidents étrangers en Belgique enregistrés cette année comme électeurs, soit 17,45% du total des ressortissants de l’Union européenne et 15,19% des résidents non européens, selon les derniers chiffres du SPF Intérieur. Des taux de participation faibles, même si le nombre total d’électeurs a, lui, bel et bien progressé depuis les dernières élections communales de 2012, où ils étaient 141 397 inscrits. Les actions de sensibilisation menées sans relâche ces derniers mois n’y sont sans doute pas pour rien: certaines communes ont envoyé des courriers personnalisés et organisé des séances d’information, et certains partis politiques, conscients de l’envergure de cet électorat potentiel, y sont même allés de leur communication ciblée envers les résidents étrangers. En juin dernier, la N-VA, visiblement plus réfractaire, avait accusé la Région bruxelloise d’accorder des subsides à des ASBL «de gauche» pour sensibiliser l’électorat étranger au droit de vote.

Les associations jouent, de fait, un rôle central. Parmi elles, l’ASBL Objectif, qui soutient les étrangers dans leurs démarches pour obtenir la naturalisation belge, fait figure de pionnière depuis 2006 dans la sensibilisation des étrangers à l’approche des élections communales. «La première étape est d’abord d’informer les gens sur leur droit de vote car beaucoup l’ignorent», indique Hassiba Benbouali, chargée de projet citoyenneté au sein de l’association. «Ensuite, on leur explique également les enjeux politiques et les compétences de la commune. Il faut les inciter à prendre part à ce processus, afin que la société soit la plus démocratique possible.» D’autant que ces électeurs potentiels sont nombreux: 13% du corps électoral total, lors des dernières élections.

«Voter est un privilège»

Au onzième étage d’une tour de bureaux surplombant la place de Brouckère, au sein du BAPA (bureau d’accueil pour primo-arrivants) de Bruxelles, une vingtaine de volontaires est réunie dans le cadre de leur parcours d’intégration. Ce matin de juillet, le cours de citoyenneté est assuré par un invité externe, Larry, l’une des nombreuses chevilles ouvrières bénévoles d’Objectif. En cette année électorale, le BAPA BXL collabore avec plusieurs associations pour «encourager nos bénéficiaires à aller voter», explique Nora Mahieddine, coordinatrice du BAPA BXL.

 

Parmi les étrangers qui accomplissent leur parcours d’intégration au BAPA figure une bonne part d’Européens (18%), jouissant tous du droit de vote aux communales depuis 2000, en vertu du traité de Maastricht. Dès 2006, ce droit s’est élargi aux non-Européens résidant en Belgique depuis cinq ans au moins.

C’est le cas de Mohamed. Ce trentenaire, originaire du Maroc, n’a jamais voté dans son pays natal. En Belgique depuis 16 ans, il entend bien faire usage de son droit: «J’ai toujours eu envie de participer à la société via le vote. C’est un privilège, des gens se sont battus pour l’obtenir.» Le jeune homme a reçu son formulaire d’inscription, directement envoyé par la commune. En fin de matinée, il le remettra à Objectif, qui s’engage, comme à l’issue de chacune de ses séances, à renvoyer les documents complétés aux administrations communales. Tout est ainsi fait pour simplifier au maximum les démarches des potentiels électeurs.

Informer pour rassurer

Mais les craintes demeurent. «Si on est en situation légale et qu’on ne veut pas voter, peut-on être puni?» s’interroge une bénéficiaire. «Bien sûr que non», répond Larry, «mais si vous en avez le droit, nous vous encourageons à prendre part à la vie de votre commune. C’est un réel enjeu démocratique.» Plus tard, Mohamed confie: «Pour moi, le vote est une façon d’ouvrir la porte. C’est une réalité, il y a beaucoup d’étrangers en Belgique et à Bruxelles; il faut donner de sa voix, montrer qu’on participe à la vie collective.»

C’est en Wallonie que les étrangers s’inscrivent en plus grand nombre : 36 % des électeurs potentiels européens et 19 % des non-Européens s’y sont rendus aux urnes en 2012.

Un autre doute parcourt les participants: quels sont les différents partis, comment savoir pour qui voter? «C’est une crainte régulièrement entendue cette année», confirme Hassiba Benbouali. «Et le fait que les partis annoncent à l’avance des coalitions décourage, voire dégoûte, certains de la politique.»

Souvent aussi, il faut rassurer: «Nombre de résidents étrangers pensent qu’une fois inscrits, ils seront à jamais obligés de voter», poursuit la chargée de projet, qui ne se lasse pas de préciser que si le vote est bien obligatoire en Belgique, les non-Belges conservent la liberté de se désinscrire des listes d’électeurs.

Dédale de démarches administratives, méconnaissance du paysage politique, craintes parfois infondées… Autant d’obstacles que les associations tentent, tous les six ans, de lever. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules à s’y coller, de plus en plus de communes assument désormais ce rôle essentiel. Mais des différences de pratiques notoires subsistent entre celles-ci: «Certaines se contentent d’afficher la circulaire au sein de leur administration communale, tandis que d’autres envoient le formulaire d’inscription par la poste ou mettent sur pied de véritables campagnes de sensibilisation», énumère Louise Nikolic, docteure en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, qui a réalisé l’an dernier sa thèse de doctorat sur le vote des étrangers aux élections communales de 2012.

Nettes variations entre Régions

Par l’analyse des données politiques et migratoires des 588 communes belges et des entretiens menés avec des résidents non nationaux, la chercheuse a tenté de comprendre pourquoi ils avaient été si peu nombreux à glisser leur bulletin dans l’urne en 2012. Elle dresse le constat de «très grandes variations des taux d’inscription d’une région à l’autre, mais aussi d’une commune à l’autre».

Au niveau régional, c’est en Wallonie que les étrangers s’inscrivent en plus grand nombre: 36% des électeurs potentiels européens et 19% des non-Européens s’y sont rendus aux urnes en 2012 (respectivement 26% et 20% cette année). La Flandre affiche, elle, le score le plus bas auprès des étrangers non européens, avec seulement 10% d’inscrits. Bruxelles oscille entre les deux, mais c’est dans la capitale que la part d’électeurs potentiels non belges est la plus importante: près d’un tiers du total des électeurs (28%)!

La proportion d’étrangers ayant franchi le pas reste faible et ne dépasse jamais un quart de l’électorat potentiel total.

Outre l’impact décisif des actions de sensibilisation menées par les communes, deux autres critères positivement corrélés avec un haut taux d’inscription des étrangers ont été identifiés par Louise Nikolic: la présence d’un bourgmestre de gauche (PS, Écolo, SPA et Groen) et un faible score de l’extrême droite. Des facteurs qui révèlent l’influence déterminante du sentiment d’intégration et de la perception du climat politique local; alors qu’en Wallonie, des scandales de corruption découragent parfois les non-Belges à voter, en Région bruxelloise, ce sont davantage, «des relations difficiles avec les administrations communales qui apparaissent comme un frein à l’inscription», indique la chercheuse.

Si les efforts fournis par les associations auront permis cette année de glaner de nouveaux électeurs, la proportion d’étrangers ayant franchi le pas reste faible et ne dépasse jamais un quart de l’électorat potentiel total. Au sein de l’association Objectif, qui a réalisé ces derniers mois une cinquantaine d’animations et récolté plus de mille formulaires d’inscription, on se veut pourtant optimiste: «Cette année, les communes et CPAS se sont vraiment engagés. Certains nous ont sollicités pour organiser chez eux des séances d’information; à Uccle, nous avons ainsi pu récolter 300 inscriptions en une seule séance», se réjouit Hassiba Benbouali, convaincue que cet engagement naissant continuera de porter ses fruits à l’avenir.