L’auteure militante Aline Fares tourne avec sa conférence gesticulée « Chroniques d’une ex-banquière » depuis plus d’un an. Suite à son parcours personnel marqué par neuf ans au sein de la banque franco-belge Dexia, elle dénonce les rouages sombres de la finance et des banques.
Comment êtes-vous tombée dans le milieu bancaire?
En sortant d’HEC Paris, j’ai été engagée par Dexia au Luxembourg. J’y suis restée cinq ans, au sein des ressources humaines puis au cabinet de la direction. En attente d’une mission, je me suis intéressée d’un peu plus près aux activités de la banque: l’essentiel concernait l’évasion fiscale des multinationales. Je voulais faire autre chose. J’ai répondu à une offre du siège de Dexia à Bruxelles, intéressée par le pôle développement durable et espérant pouvoir changer les choses de l’intérieur. Mais on réalise très vite les limites de ce type d’initiative dans une société actionnaire comme l’est Dexia. En réalité, leur proposition de produits comme des fonds ou des crédits estampillés «développement durable» sert le marketing et la communication, et non un projet de progrès social et environnemental.
En 2008, Dexia est sauvée une première fois de la faillite et vous êtes entraînée dans le processus de restructuration…
Notre petite équipe était l’instrument de cette restructuration et mon boss a été viré. Dexia étant à l’origine détenue par le Crédit communal de Belgique et le Crédit local de France, la direction était jusqu’ici assurée en alternance par la Belgique et par la France. Cette année-là, c’était au tour de la direction belge, mais un ami de Sarkozy a repris la DG de Dexia, avec un mandat de restructuration mené de façon abominable, avec les conséquences que l’on connaît (pertes d’emploi, etc.). Selon la Cour des comptes, la faillite de Dexia a coûté au minimum 6,6 milliards d’euros à l’État français et au moins la même somme à l’État belge. Mais cet état catastrophique n’a pas empêché Dexia de vouloir octroyer des indemnités de départ et bonus à ses dirigeants.
Après un congé parental, deux ans plus tard, vous découvrez la militance et vous vous engagez auprès de l’ONG Finance Watch, pourquoi?
Finance Watch effectue de l’expertise et un travail de plaidoyer dans le domaine de la réglementation financière. Elle s’appuie sur un réseau européen de syndicats et de chercheurs du secteur. Mais sa tâche est ardue: l’équipe est constituée d’une douzaine de personnes, contre 1 700 lobbyistes financiers à Bruxelles. Au sein de l’ONG, j’ai ainsi créé un jeu de poker pour expliquer le fonctionnement des banques et la crise, puis j’ai pris l’habitude d’interagir par des plaidoyers politiques lors de conférences et worshops.
Ce qui vous a mené à débuter vos Chroniques, suite à une formation de trois mois avec l’association La Volte?
Et depuis, j’ai présenté cette conférence gesticulée 25 fois en Belgique et en France. L’idée est de redonner aux citoyens les clés du monde bancaire et de la finance. En particulier par rapport au pouvoir des lobbies sur les politiques. Il y a un manque d’information et de débat public sur le sujet, or il est directement lié à la dégradation des conditions de vie en Belgique: baisse des droits sociaux, des services publics, chasse aux chômeurs, etc. Depuis 2008, le sauvetage bancaire a accru la politique d’austérité, tandis que les richesses sont transférées de la population vers ceux qui perçoivent les dividendes.
En tant que citoyen.ne.s, quels sont nos leviers d’action dans ce contexte?
Nous devons arrêter d’alimenter cette machinerie, par exemple en changeant de banque, en arrêtant d’acheter des produits financiers tels que les épargnes-pensions qui ne servent qu’à maximiser les profits du capital. De même, les grosses boîtes proposent de plus en plus à leur personnel de devenir actionnaire. C’est pervers, car de cette façon elle augmente la pression de rentabilité sur les employés. Il faut lutter, principalement à deux niveaux: pour préserver ce qui nous reste encore en matière de travail, de propriété, de santé… et contre l’accaparement des terres partout dans le monde. Pour alimenter les marchés financiers, les lobbies bancaires poussent à la privatisation du plus grand nombre de champs de l’économie et de la vie sociale. Ce pouvoir omnipotent des banques doit être repris en main.