Le cinéaste belge Lukas Dhont et son formidable acteur Victor Polster signent le portrait douloureux de Lara, née garçon et déterminée à devenir fille coûte que coûte. Le bouleversant « Girl » est porté par une interprétation remarquable doublée d’une mise en scène réaliste et millimétrée. Rencontre avec un réalisateur plus que prometteur.1
Quelle a été votre motivation première pour ce film?
Ce qui m’intéressait, avant tout, c’était de montrer des personnes qui ne sont pas dans les normes classiques du masculin et du féminin. Le cinéma est un moyen intéressant d’en parler. Depuis mes études de réalisation, je savais que j’aborderais ce sujet dans mon premier film! J’espère que Girl permettra de combattre les idées reçues. Chez les personnes dont le corps n’est pas conforme à leur identité, ce n’est pas un choix de vivre dans un tel mal-être.
Cette histoire vous a été soufflée par un article de journal, c’est bien ça?
En 2009, j’ai lu l’histoire d’une jeune fille de quinze ans qui voulait devenir danseuse étoile, mais qui était assignée à un corps de garçon. J’étais âgé de 18 ans et ma propre identité était assez difficile à vivre, la part de féminité en moi se révélait problématique. C’était une vraie source d’inspiration.
Outre la question délicate, et centrale, du changement de sexe, d’autres thèmes singularisent aussi votre film. Pourquoi?
Parce que le changement de sexe est un processus à multiples facettes. J’ai voulu montrer ça d’abord à travers l’empathie de la famille monoparentale à laquelle Lara appartient: son père est un véritable ange gardien. Ensuite par la danse classique, centre de la vie de l’adolescente. Le sexe estompé tant bien que mal par du ruban adhésif sous le justaucorps de ballerine… il en sort des images fortes qui font le bonheur du cinéaste que je suis, mais aussi un portrait très complet de mon personnage. Et, surtout, cela me permettait de pousser mon exploration plus loin…
C’est-à-dire?
Mon personnage, Lara, est en conflit avec son propre corps. Beaucoup de films avec des personnages homosexuels ou transgenres montrent avant tout les oppositions avec le monde autour d’eux. Je comprends cette façon de procéder, car c’est important de pointer que le monde extérieur peut se montrer très dur envers ces gens. Mais, moi, je voulais aussi inscrire mon personnage comme quelqu’un qui pouvait commettre des erreurs lui-même. Notamment dans sa passion très, voire trop, marquée pour la danse. Ou envers son entourage, pourtant très bienveillant avec lui.
Quelles questions se sont posées à vous au moment du casting? Pourquoi avoir finalement choisi Viktor, acteur cisgenre, et pas une fille transgenre, sujet dont parle le film?
D’abord, je voulais une jeune fille trans pour le rôle, en fait. Et j’ai parlé avec beaucoup d’entre elles pendant l’écriture. C’était très important pour moi de viser très juste dans la représentation de cette jeune fille, comme sur l’aspect médical. C’est à ce moment que j’ai senti que filmer des trans, à cet âge-là, pouvait s’avérer très compliqué. Parce qu’elles nourrissent une aversion pour leur corps. Et qu’un film, c’est un médium qui reste, qui aurait pu les poursuivre toute leur vie.
Vous avez donc changé d’avis à ce moment-là?
Oui! Je ne voulais pas prendre cette responsabilité. Il y avait trop de vulnérabilité dans l’air. Si j’avais rencontré une jeune trans, danseuse, qui m’avait dit tout de suite «Oui, je veux le faire!», et que j’avais senti qu’elle mesurait toutes les conséquences du rôle, à moyen et long termes, je n’aurais pas hésité. Mais cela ne s’est pas présenté. Le casting aura finalement été plus long que l’écriture. Et Victor [Polster] était parfait pour le rôle!
En quoi Victor vous a-t-il le plus impressionné?
Comme Lara, l’héroïne qu’il incarne, il a souffert pendant les scènes de ballet. Elle malmène son corps pour en extraire toute la beauté cachée, et il a fait de même! Il n’a pas «juste» joué, il est rentré dans la peau de Lara. C’était exactement cela que je voulais pour Girl.
1 Le film a remporté la prestigieuse Caméra d’or et trois autres récompenses au Festival de Cannes en mai dernier (et est en lice pour les European Film Awards, NDLR).