Espace de libertés | Octobre 2018 (n° 472)

L’essence du djihadisme terroriste


Des idées et des mots

Le professeur Felice Dassetto est sans doute l’un des meilleurs islamologues européens actuels. C’est en bon sociologue qu’il aborde dans son dernier ouvrage, la question et la signifiance de ce fait social majeur qu’est le djihadisme terroriste contemporain. Contemporain mais pas récent, puisque les premiers groupes terrorismes islamistes sont apparus dès les années 1960-1970, même si à l’époque ils étaient encore très marginaux. La profondeur historique prend donc ici une place prépondérante. En effet, le djihadisme terroriste n’est pas une quelconque absurdité apparue comme par magie un beau jour de septembre 2001 mais une lame de fond complexe dont les linéaments sont à chercher aussi bien dans la géopolitique que dans la théologie, dans l’imaginaire autant que dans la psychologie (voire la psychiatrie), dans l’appât du gain autant que l’appétit de puissance. Pour Dassetto, le djihadisme a acquis une autonomie intel­lectuelle et pratique au sein même du système religieux sunnite qui, par son silence ou de trop frileuses condamnations murmurées du bout des lèvres, lui a accordé une certaine légitimité. Et dans le chef de l’auteur, on peut se demander si la désolation n’a pas aujourd’hui fait place à une certaine désillusion. En tout cas, l’ouvrage fera date. Pourtant, il ne s’agit pas d’une analyse des causes et des processus de radicalisation des personnes ni d’une description exhaustive (serait-elle d’ailleurs possible tant le phénomène est protéiforme?) des organisations actives dans ce créneau un peu partout dans le monde. Le but de Dassetto est d’éclairer comment et par quels processus sociologiques les pratiques jihadistes terroristes se sont implantées et ont bâti un système de pensée et d’action qui lui-même a réussi à imposer son agenda au monde entier. L’intérêt de ce travail réside non seulement dans la synthèse objective qu’il propose et qui, seule, permet de se faire une idée concrète de l’ampleur du phénomène. Un phénomène qui, selon l’auteur, dévoile en fait le caractère problématique de la vie collective contemporaine et notamment le revers de la «médaille» de la mondialisation. Là aussi, indubitablement, on est dans le temps long.