Espace de libertés | Octobre 2018 (n° 472)

Que faire lorsque tout se défait? Quelle série d’actes poser quand le cynisme gouverne tous les secteurs de l’existence, politique, économique, social, climatique, environnemental, cosmique, mental? Que faire avec nos défaites passées, avec la fonte des glaciers, les robots facebookiens, les légions d’androïdes programmés à tuer? Que faire avec le tic-tac de l’horloge qui a tué le temps intérieur?

Le samizdat, le conte politique qui fait le tour du monde, traduit dans trente-six langues, c’est moi qui l’ai écrit. J’ai rédigé cette fable-pamphlet qui s’est glissée dans les consciences endormies comme une traînée de poudre. Pas un instant, je n’ai cru à sa propagation. Les services secrets turbinent dans la farine. Voilà six mois qu’ils s’enlisent, mais qui donc se cache derrière ce brûlot qui soulève émeutes et insurrections? Certains y voient une œuvre collective lâchée par des militants radicaux, d’autres y repèrent la phraséologie, les tournures de pensées d’un philosophe dans le collimateur du pouvoir depuis des décennies.

Mon sobriquet me vient de l’école secondaire. Ayant, en quelques mois, détruit des plans d’OGM, saccagé des bureaux pour y loger des migrants, des sans-abri, démoli des laboratoires afin de libérer les animaux servant de cobayes, le directeur me fit venir dans son bureau, me signifiant mon renvoi. Alors que je m’apprêtais à refermer la porte, il me lança: «Faites bien attention à vous, Ravachol Junior.» Dévalant quatre à quatre les escaliers, je fredonnais la chanson de Renaud, mon surnom à jamais accolé à mes actes.

Lors de mon procès auquel je n’assistais point, des sympathisants chantaient la chanson d’Ennio Morricone portée par la voix de Joan Baez, Here’s to you, écrite en hommage à Sacco et Vanzetti. Lors de la sentence, un comité de soutien entonna La Makhnovtchina, hurla Porcherie, Manifeste, dégoupillant les bombes des Bérurier noir.

Mon ombre glisse si vite sur le bitume que les vidéos de surveillance captent celui que j’étais dans une autre vie. Le XXIe siècle flotte sur les cadavres des migrants, sur les dépouilles des Amérindiens assassinés, sur les corps fantômes des cinquante pour cent d’espèces animales anéanties depuis quarante ans. Le XXIe siècle carié coule dans ma bouche. Que faire lorsque tout se défait?