De nombreux élèves ont participé au concours organisé par l’Association pour les Nations unies de Belgique (APNU) les invitant à illustrer leurs impressions, leurs indignations, leurs craintes et leurs espoirs en matière de droits de l’homme. Une initiative protéiforme qui a permis de développer un regard singulier sur la Belgique, à l’heure où l’actualité du pays est ternie par un recul des libertés fondamentales.
Sensibiliser les nouvelles générations à leurs droits et devoirs. Tel est l’objectif du concours lancé par l’APNU dans le cadre de sa campagne «La Déclaration universelle des droits de l’homme, tout un programme!» qui célèbre les 70 ans de ce texte, juridiquement non contraignant mais précurseur des droits humains. Cette initiative encourage les jeunes francophones de 10 à 30 ans à s’approprier les 30 articles de la Déclaration afin de proposer des mesures capables d’améliorer leur mise en pratique au quotidien.
S’investir généreusement
Répondre à cet appel à projets était une évidence pour Catherine Buisseret. Depuis des années, cette enseignante du Lycée Guy Cudell, à Saint-Josse, articule son cours de français autour du texte de la Déclaration. Désireuse de faire rayonner son école étiquetée «difficile», elle s’est jetée corps et âme dans ce concours, flexible dans la forme comme dans le fond, afin de stimuler la créativité de ses élèves dans le cadre d’un projet autonome et durable. Les idées ont afflué. Au questionnement et à l’indignation des élèves – principalement face aux injustices socio-économiques – répondent des désirs de productions culturelles concrètes. Épaulés par des organisations publiques et privées (la cellule «Démocratie ou barbarie» de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Annoncer la couleur, Amnesty International, etc.), Catherine Buisseret et ses élèves mettent sur pied le projet «MursMurs». Le concept? Transformer progressivement les enceintes de l’école en «œuvres d’art respirant les valeurs universelles de la DUDH». «Les nôtres [murs] étaient grands et vides… Et puis, symboliquement, un mur, c’est souvent l’antipode des droits de l’homme qui valorisent l’universalisme, la rencontre ou le partage. Tout collait!»
Au total, une centaine d’élèves, de professeurs et d’éducateurs y participent, avec à la clé, des réalisations variées: les jeunes organisent des repas solidaires, une récolte de vêtements, ils partent en voyage à Strasbourg visiter la Cour européenne des droits de l’homme, montent un film et écrivent une chanson… Le résultat le plus permanent de leur participation se cristallise dans l’exposition de douze portraits d’humanistes et de leurs combats peints au pochoir sur les murs de l’école: Simone Veil, Rosa Parks, Janusz Korczak ou encore Olympe de Gouges ornent désormais l’intérieur du lycée. À côté de chaque portrait trône une biographie, une «to do list culturelle» ainsi que la traduction des 30 articles de la DUDH en autant de langues.
Portées pédagogiques
Si l’entreprise a rencontré de nombreux obstacles, ni la lenteur administrative ni le vandalisme d’un apprenti pyromane n’ont égratigné une énergie collective qui a abouti à une année dynamique, constructive et fédératrice pour tous les acteurs. Ce constat est partagé par d’autres établissements scolaires où l’émulation fut similaire. À l’Athénée royal de Herstal, la professeure de sciences sociales Anne Bauwens se dit également impressionnée par les sept participantes de sa classe de 5e secondaire. En plus d’œuvrer à la défense de plusieurs avancées sociales, ces dernières «ont effectué un gros travail sur elles-mêmes» afin de conceptualiser les animations et les vidéos illustrant l’article 2 de la Déclaration (relatif à la «non-discrimination»). «Grossophobie, discrimination religieuse, à l’égard des LGBT ou des personnes handicapées… Même si leurs exposés avaient une vocation universelle, les luttes étaient ultrapersonnelles», explique cette enseignante convaincue qui reconduira ce type d’apprentissages cette année.
Le corps enseignant est sans équivoque: l’expérience a favorisé l’expression de compétences trop rarement, voire jamais développées, au sein du programme scolaire classique. Qu’il s’agisse d’un cours unique ayant fait office de plaidoyer pour l’»heure de citoyenneté» ou d’un projet multidisciplinaire, les professeurs ont troqué leur posture magistrale pour des pédagogiques actives qui ont permis de révéler le potentiel de nombreux élèves. En conjuguant la réflexion intellectuelle usuelle à une dimension créative, ce concours a réaffirmé des valeurs citoyennes au travers de discussions saines et en décloisonnant les relations entre des jeunes d’années ou de sections différentes.
Une seconde vie
En un an, le concours a sensibilisé 6 000 jeunes et a accouché d’une centaine de dossiers enthousiasmants. «Les thématiques principalement abordées traitaient de la liberté et de l’égalité de tous les hommes, de la liberté d’expression, du droit à l’éducation et, surtout, de la question migratoire, qui est omniprésente dans les médias via le parc Maximilien ou les expulsions», détaille Huguette Van Campenhoudt qui a coordonné la campagne aux côtés de Patrick Willemarck. Avant la distribution des prix qui récompenseront les meilleures productions, lors d’une cérémonie qui se tiendra début décembre, le président de l’APNU Pierre Galand a déjà salué «la disponibilité, l’engagement et la liberté d’esprit extraordinaire dont ont fait preuve tous ces participants aux profils fort diversifiés».
L’association ambitionne à présent de pérenniser sa campagne. En attendant la date d’anniversaire de la DUDH le 10 décembre prochain, plusieurs activités pédagogiques, culturelles et médiatiques relayeront les différents projets. Et alors qu’un rassemblement des multiples travaux, en vue d’en faire un support pédagogique, est à l’étude, des campagnes similaires sont envisagées à l’étranger. Sept ou huit pays européens se seraient déjà engagés à emboîter le pas de Bruxelles tandis que d’autres ont balayé l’initiative du revers de la main. Pourtant, sensibiliser les jeunes générations aux menaces qui pèsent sur les droits humains s’avère capital car aujourd’hui encore, aucun pays n’est à l’abri: en Belgique, de nombreuses pratiques liberticides témoignent de ce type de dérives, à l’image du sort réservé aux détenus des prisons surpeuplées, des réticences à reconnaître le droit à l’autodétermination des femmes en matière d’avortement ou, plus récemment, à l’image de l’enfermement d’enfants en centres fermés. Autant de réalités qui nous rappellent que la Déclaration universelle des droits de l’homme est malmenée sous nos yeux aussi.