Espace de libertés – Novembre 2015

La laïcité face à l’arrivée des réfugiés: une position sans ambiguïté


Dossier
Proposer un dossier sur la question des migrants est une chose. En justifier le contenu par une position de principe claire en est une autre. Pour nous, les deux ne sauraient être dissociées. La mobilisation du Centre d’Action Laïque, qui a hébergé pendant près d’un mois une vingtaine de demandeurs d’asile dans ses locaux, témoigne certes de notre attitude face à ce phénomène. Mais comme ce qui va sans dire va encore mieux en l’écrivant…

Les migrations font peur à ceux qui redoutent leur caractère invasif, aspect monté en épingle par des politiciens qui espèrent tirer parti de ces peurs pour imposer des « prêts-à-penser » populistes. Toutefois, cette prétendue menace ne résiste pas à la réalité des chiffres. En France, pays où un parti devenu incontournable surfe sur ce sujet, il y a 36.000 communes; et on estime que le pays aura accueilli, en deux ans, 30.000 réfugiés (1). Le calcul est vite fait…

Des chiffres et des êtres

Comme chacun sait, les principes de la laïcité s’appuient volontiers sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Dans son article 13, celle-ci consacre le principe de la liberté de circulation: « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Les libertés publiques, pour être effectives, se doivent d’être encadrées, protégées par des garanties et des instances publiques supérieures capables de les faire respecter. La liberté de circuler est ainsi assortie au principe d’égalité de droits, de traitement, de devoirs et de participation. Nous ne saurions donc envisager l’accueil des migrants sans leur garantir les conditions d’hébergement et de vie dignes. Plutôt que de l’abandonner aux mafias comme c’est trop souvent le cas, il convient d’organiser des trajectoires migratoires par les voies officielles, dans des conditions sanitaires acceptables et exemptes de danger pour l’intégrité des personnes. Parmi les mesures initiales, l’officialisation de l’accueil devrait passer par une procédure simplifiée en termes de visas. Un droit de séjour limité et conditionnel devrait être accordé aux migrants qui répondent aux critères. Des services spécialisés devraient être chargés d’étudier, en concertation avec eux, des stratégies d’adaptation ou de retour qui garantissent la sécurité et la viabilité des familles. Une société solidaire ne peut laisser les plus vulnérables sur des esquifs de fortune.

Sévices publics

Or, nous en sommes loin. Le parcours du migrant chercheur d’asile comporte une série impressionnante et inadmissible d’infractions aux traités de sauvegarde des droits humains. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en témoigne cruellement. La plupart des lois et procédures relatives à l’asile et à la migration doivent être revisitées sous ce jour. Bien entendu, la vision humaniste du phénomène migratoire actuel appelle une évolution des mentalités et beaucoup de pédagogie. Il s’agit pour nos gouvernements et la société civile d’accompagner, de rendre compréhensibles et légitimes les évolutions dictées par l’intérêt général et le respect des personnes.

Le mouvement laïque dénonce les discriminations à l’égard des personnes migrantes.

Dans cette perspective, nous souhaitons rappeler les responsables gouvernementaux à leurs devoirs. Si l’on peut comprendre que les services publics aient eu besoin de temps pour s’organiser, après plus de deux mois d’une situation précaire, ils auraient pu et dû reprendre le contrôle global de la situation plutôt que de continuer à se défausser sur le monde associatif, et notamment la plateforme citoyenne qui a non seulement complété le dispositif d’accueil, mais suppléé aux carences de celui-ci. Le mouvement laïque dénonce les discriminations à l’égard des personnes migrantes. Il rappelle aux pouvoirs publics compétents l’obligation d’offrir un accueil digne et respectueux des droits humains et les incite à prendre en compte les prochaines étapes consécutives au flux migratoire en général et à l’accueil des réfugiés. L’épisode récent du badge ne rassure pas à cet égard.

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© Dominique Goblet et Kai Pfeiffer

Parcours brisés

Car ne nous leurrons pas: si nous affirmons ci-dessus que ledit flux migratoire est moins important que ne voudraient le faire croire les marchands de peur, il est évident que d’autres vagues de réfugiés viendront à leur tour chercher chez nous un refuge pour échapper à une situation politique, climatique ou sanitaire dans lesquels notre responsabilité est bel et bien engagée. Il nous faut cesser de considérer ces nouveaux arrivants avec condescendance. Apprendre à voir, au-delà du phénomène de masse, des visages humains avec leurs drames, leurs illusions, leurs rêves légitimes et leurs nombreux talents. Voir le regard écarquillé des enfants. Lire l’incrédulité des femmes et des hommes rendus farouches par la haine qu’on leur oppose.

Une récente étude réalisée par des économistes de l’UCL (2) démontre tous les avantages que notre société peut tirer de cette arrivée de candidats à la citoyenneté dans notre pays vieillissant. L’Allemagne est parvenue à la même conclusion. Notre société tout entière est le fruit d’une multitude de migrations et bien peu, parmi ceux qui se réclament du droit du sol, vivent effectivement sur une terre occupée depuis toujours par leurs ancêtres. Un jour, la Terre entière sera métissée et les racistes de tout poil qui subsisteront encore n’auront plus qu’à méditer sur l’inanité de leur aveuglement.

 


(1Nouvel Obs, 15 octobre 2015.

(2) Frédéric Docquier et Joël Machado, « La crise des réfugiés: quelques clarifications s’imposent! », dans Regards économiques, n°119, octobre 2015 et mis en ligne sur www.regards-economiques.be.