Nos sociétés contemporaines traitent la prostitution à partir d’une approche morale qui tantôt la condamne, tantôt la réprouve. De manière schématique, on peut dire qu’il y a trois systèmes de gestion publique de la prostitution : la prohibition (interdiction pure et simple), l’abolition (abolition des règlements considérant la prostitution comme indigne de la condition des femmes) et la réglementation (organisation et réglementation de l’activité prostitutionnelle).
Drôle d’encadrement législatif de la prostitution en Belgique qui consiste à admettre la prestation rémunérée mais à ne pas en accepter la promotion et la publicité ! En définitive, si la personne prostituée est considérée comme une délinquante en puissance aux yeux de la loi, elle n’en reste pas moins une citoyenne comme les autres puisqu’elle est soumise aux lois fiscales (elle paie ses impôts et sa TVA, comme n’importe quel travailleur indépendant).
La loi des communes
Ces mêmes communes qui réglementent l’activité de la prostitution n’hésitent pas à la taxer par ailleurs.
La loi de 1948, qui a instauré l’abolition de la réglementation, permet cependant aux communes de prendre des dispositions particulières en matière de mœurs, notamment par l’adoption de règlements communaux qui ont pour objet d’assurer la moralité et la tranquillité publique. L’activité prostitutionnelle est du coup proscrite près des lieux des cultes, des écoles et des centres sportifs… autant dire partout. Les règlements communaux interdisent l’affectation d’immeubles ou de partie d’immeubles à la prostitution. On peut facilement imaginer comment certaines communes voulant se débarrasser des travailleuses du sexe encombrantes ont recours à leur règlement communal pour fermer abusivement des lieux de travail sans préavis. Paradoxalement, ces mêmes communes qui réglementent l’activité de la prostitution n’hésitent pas à la taxer par ailleurs. Les personnes prostituées sont soumises alors à un véritable chantage de la part de propriétaires peu scrupuleux qui n’hésitent pas à louer ou sous-louer des locaux insalubres ou frappés d’inhabitabilité manifeste. Dans le même temps, les femmes abusées ne protestent pas car elles n’ont pas d’autres choix en matière de location.
Une chasse aux sorcières
Autant dire qu’avec des taxes locales, des loyers surréalistes couplés à la baisse du pouvoir d’achat et la dégradation des conditions économiques des clients, le métier est difficile. Les dames n’ont pas pu augmenter les prix des services sexuels alors que la crise du logement les appauvrit et les insécurise de plus en plus. Certaines d’entre elles sont sous la coupe de propriétaires véreux qui augmentent chaque semaine le prix de la location. Ces mêmes communes harcèlent de manière cyclique, au gré des humeurs politiques, les personnes travaillant dans la prostitution. Les femmes de rue sont embarquées sans aucun ménagement par les forces de police, jetées au cachot comme de vulgaires délinquantes. La philosophie qui sous-tend ce type d’intervention répressive est d’évacuer les personnes prostituées de certains quartiers bruxellois parce qu’elles « font tache ». Pourtant plus les femmes seront harcelées par les forces de police, moins elles se réinséreront spontanément, que du contraire. Par expérience, on constate qu’elles continuent de se prostituer dans la clandestinité en multipliant les risques d’agression, d’exploitation, et les risques accrus de propagation des maladies et infections sexuellement transmissibles. Avec cette chasse aux sorcières, les personnes prostituées se déplacent vers d’autres lieux d’activités, répétant ainsi les problèmes de cohabitation (et de nuisances, diront certains) dans le nouveau quartier investi par les talons aiguilles.
Toutes victimes de violences ?
C’est tout l’objectif des abolitionnistes : moraliser la prostitution en la décrivant d’abord comme une atteinte grave à l’intégrité physique des femmes. Cela a permis au mouvement abolitionniste de trouver écho auprès du mouvement féministe en faisant cause commune. Certaines féministes abolitionnistes « tendance coincée sur la liberté sexuelle » se plaisent à définir la prostitution comme une forme de violence faite aux femmes. Et pour certaines féministes radicalement bloquées sur la question sexuelle, la prostituée symboliserait même le sort réservé à toutes les femmes de la planète. Ces mêmes féministes qualifient la pénétration sexuelle est de violence sexuelle et moralisent les comportements sexuels entre le permis et le défendu. Les féministes abolitionnistes considèrent les travailleuses du sexe comme des femmes indignes qu’il faut réinsérer dans le droit chemin. Ces mémères autoproclamées féministes diabolisent encore les hommes qui ont recours à ce type de service sexuel. Ces hommes qui ne sont en définitive que nos pères, nos maris, nos amants et nos fils.
Les effets pervers de la répression et de la prohibition
En Suède, depuis la loi de pénalisation des clients, les hommes sont passibles d’une amende et de six mois d’emprisonnement. Cette loi, au-delà d’être extrêmement normative et coercitive, fait la police des comportements en matière de sexualité. Sur le terrain, c’est le fiasco le plus total : la clientèle masculine inquiétée migre vers le Danemark où l’activité peut s’exercer presque normalement. Inutile de dire que la répression acharnée des clients pousse à la clandestinité, ce qui n’est pas sans poser des problèmes en matière de sécurité des femmes prostituées lorsqu’elles exercent leurs activités.
Plus la prostitution est cachée, plus elle est laissée à la merci des milieux mafieux qui organisent la traite des êtres humains.
On perçoit très clairement que dans les pays où la prostitution est cachée, pratiquée en dehors de toute visibilité, les injustices sont toujours plus élevées pour les travailleuses sexuelles. Forcément, car plus la prostitution est cachée, plus elle est laissée à la merci des milieux mafieux qui organisent la traite des êtres humains : la clandestinité appelle l’apparition de proxénètes, qui retrouvent leur suprématie d’antan. Du point de vue de la santé publique enfin, cette clandestinité augmente considérablement les prises de risque pour les travailleuses sexuelles qui auraient plus souvent des rapports non protégés. En effet, plus on travaille dans des conditions précaires, plus on multiplie les contacts à la va-vite, en cachette, hors des lieux de travail confortable, et plus grands sont les risques d’abandon du préservatif. Lorsque la dame est contrainte de faire sa prestation dans de mauvaises conditions : elle ne pourra pas bien négocier le contenu et le tarif (car elle est tourmentée à l’idée de se faire arrêter par les forces de police) et aura des difficultés à imposer la capote à son partenaire clandestin qui risque lui aussi d’être surpris, voire arrêté et emprisonné.
Changer la loi… et les mentalités
La question du statut est également importante : certaines prostituées travaillent sous le statut indépendant, d’autres sont soumises au statut de salariée, d’autres encore ne jouissent d’aucun statut spécifique. Aujourd’hui, les travailleuses du sexe réclament leur indépendance : elles revendiquent le droit au respect dans la profession qu’elles exercent, elles en appellent au droit à la dignité et refusent le mépris de la société pour le métier qu’elles pratiquent. Les personnes prostituées admettent que les besoins sexuels peuvent être pris en charge et, dès lors, que le plaisir sexuel tarifé a toute sa place dans nos sociétés. Sans l’ombre d’un mélange entre le sexe et l’amour, les professionnelles du sexe rappellent leur savoir-faire sexologique, leurs qualités humaines : l’écoute, l’accueil, l’empathie pour tous les petits soucis quotidiens des clients… Il est certain que l’acquisition d’un statut pour les personnes prostituées n’entraînera pas le respect à leur égard. Le regard des autres ne changera pas comme par enchantement, c’est vrai. Le changement des mentalités sera lent par essence, comme tout changement social qui permet aux plus exclus d’envisager des lendemains meilleurs en retrouvant leur dignité. Il faudra que notre rapport à la sexualité change aussi, il nous faudra revoir notre conception de la liberté sexuelle, il nous faudra nous affranchir de nos carcans moraux pour entrevoir un avenir favorable pour les dames. Et puis, il n’y a jamais de mal à faire du bien.