Espace de libertés – Mars 2016

L’école, fabrique à terroristes?


Libres ensemble
L’islam est mis sous pression de tous côtés. Pas un jour ne passe sans qu’on ne lui demande de faire son aggiornamento. François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils estiment pourtant que c’est à l’école qu’il faut d’abord demander des comptes.

En janvier dernier, des tensions au sein de l’Exécutif des musulmans ont conduit Le Soir à prôner à travers la réforme de cet organe l’avènement d’un islam belge. Quelques jours plus tard, c’était autour du nouveau primat de Belgique Jozef de Kesel de se prononcer en faveur d’un Vatican II de l’islam: «Oui peut-être! répondait-il au quotidien de la rue Royale. Évidemment l’islam n’est pas organisé comme l’Église catholique, c’est donc plus difficile, d’autant qu’il y règne une plus grande diversité. Par ailleurs, ce n’est pas qu’un problème religieux, mais aussi et surtout un problème politique, avec notamment l’opposition entre chiites et sunnites». Bon stratège, l’archevêque de Malines-Bruxelles ajoutait: «C’est très important qu’il y ait un christianisme vital. Sinon, il est possible que l’islam prenne la place.»

La radicalisation de certains jeunes et le djihadisme de type terroriste qui en constitue l’expression la plus violente ont relancé le vieux débat de la place de l’islam dans la société occidentale ainsi que celui de la responsabilité collective des musulmans face aux agissements d’une minorité d’entre eux. Pour cet observateur, «c’est une bonne chose dans la mesure où il importe de ne pas laisser le débat entre les mains des Marine Le Pen, Robert Ménard et autre Éric Zemmour, sachant que le conflit fait, pour eux, partie de la solution». D’où l’importance d’écouter un Malek Chebel, promoteur d’un islam français dont les balises permettraient une adéquation consentie aux valeurs occidentales, le tout dans le respect des identités.

Ce chemin n’est pas une autoroute que tout le monde emprunte. La preuve avec Fatima bien moins notée que Marianne (1): dans cet ouvrage, les sociologues François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils se demandent si l’école française ne fait pas preuve de racisme envers les musulmans au terme d’une logique qui les désavantage systématiquement. «Non, le racisme antimusulman n’est pas une invention de sociologue, mais bien une réalité empiriquement repérable», résume le Huffington Post dans sa recension de l’ouvrage.

Sous-catégories culturelles

Paru un an après les attentats de Charlie Hebdo (et deux mois après ceux des terrasses parisiennes et du Stade de France), Fatima bien moins notée que Marianne était fatalement appelée à faire grand bruit de par son propos. Car ses auteurs ne pointent pas du doigt les dérives d’un certain islam, la déshérence socio-économique et le relâchement des liens familiaux qui ont pu conduire les fils de l’immigration arabo-musulmane au terrorisme, mais bien l’école et sa capacité à créer des sous-catégories socioculturelles où il faudrait, à les entendre, ranger les musulmans. L’automne dernier, le ministre de l’Économie Emmanuel Macron n’avait-il pas, lui aussi, pointé la responsabilité française dans la prospérité du djihadisme: «Ces trente dernières années, la République a perdu le lien charnel, le lien citoyen, avec une partie de sa population

Le délit de sale gueule, le chômage, l’exclusion, la révolte… tout cela serait d’abord la faute de l’école.

D’où un ressentiment que l’on a pu observer aussi dans certaines écoles bruxelloises quand, au lendemain de Charlie Hebdo, des adolescents ont refusé mordicus d’observer une minute de silence à la mémoire des victimes au motif que les caricatures insultaient le prophète. Un récent tour de table avec des «jeunes des quartiers» de Molenbeek nous a appris à quel point la haine de la société belge peut être vivace. En dépit du nombre impressionnant d’associations et de moyens qui leur sont dédiés, le sentiment d’être rangé une fois pour toutes dans une citoyenneté de troisième ordre est bien présent. Le délit de sale gueule, le chômage, l’exclusion, la révolte… tout cela serait d’abord la faute de l’école.

François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils se rallient aux mêmes thèses victimaires. «Sous couvert d’universalisme et de laïcité, une logique d’assimilation met au pas les différences portées par les jeunes issus de l’immigration. C’est toujours sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la République française à penser les mutations du vivre ensemble», résume très bien le Huff en rappelant que la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a elle-même pointé l’incapacité de l’école à transmettre les valeurs de la République au lendemain de Charlie. Durpaire et Mabilon-Bonfils l’ont prise au mot en se basant sur un certain nombre d’enquêtes et de recherches scientifiques qui démontrent que, trop souvent, manuels scolaires et enseignants confondent islam et islamisme. L’islam serait vu comme la menace identitaire par excellence, le point de départ d’une «guerre des civilisations» qui doit conduire à la mort de l’Occident (chrétien).

Pour rattraper ce glissement, les auteurs proposent une «laïcité d’inclusion» mise au service de l’école qui se muerait ainsi en un fabuleux instrument d’intégration. Cette laïcité, ils la veulent «bienveillante» et non «policière», dans une référence évidente à la refonte des législations observées un peu partout en Europe occidentale, dont en Belgique. Des nouvelles lois qui sacrifient une part des libertés individuelles sur l’autel de la sécurité collective.

Non à l’histoire du bon plaisir

La thèse de François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils n’a pas que des partisans, c’est le moins que l’on puisse écrire. Dans Le Point, l’essayiste Jean-Paul Brighelli incendie leur ouvrage en dénonçant une volonté de réécrire le passé au motif d’apaiser les tensions («L’enseignement de l’histoire n’a pas été conçu pour faire plaisir aux uns et aux autres») et de tordre la laïcité pour mieux coller aux méandres du temps: «Non seulement il ne faut pas faire une “place spécifique” à l’islam (ni à aucune religion, ou alors nous nous renions en tant que République laïque), mais il faut très sérieusement appliquer la lettre de la loi de 1905, et restreindre les manifestations religieuses, quelles qu’elles soient, au domaine privé.» Brighelli, volontiers qualifié de «réac» par ses contempteurs et dont l’intransigeance est à l’aune du titre de son article dans Le Point («Les nouveaux révisionnistes»), ajoute: «Je dis cela dans l’intérêt même de l’islam, auquel je ne veux ni mal ni bien: les musulmans non fondamentalistes (et ils sont majoritaires) devraient étudier l’histoire, et comprendre que toute prétention exagérée à augmenter les positions religieuses entraîne un jour ou l’autre une révocation de l’édit de Nantes, et ce qui s’en suivit».

En Belgique francophone aussi, une telle réflexion mérite considération alors qu’un cours de citoyenneté est annoncé dans les écoles officielles, un cours qui donnera une certaine place à l’enseignement de l’histoire des religions. Comment sera-t-il articulé s’agissant de l’islam? Quelle sera la formation de ceux qui seront chargés de le prodiguer? Les manuels d’histoire opteront-ils pour une dimension militaire, socio-économique, religieuse ou culturelle? Tout cela reste à ébaucher. L’essentiel, estime ce chercheur, est qu’»au bout du compte, les jeunes acquièrent un esprit critique». Soit la capacité de comprendre qu’il n’y a ni bons ni mauvais, mais simplement une propension chez chaque homme à défendre ses intérêts. Godefroid de Bouillon n’était pas un ange et s’il parvint à prendre Jérusalem, à porter le titre de seigneur du Saint-Sépulcre, c’est aussi parce qu’il avait des ambitions propres.

Après tout, comme le font François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils, il n’est pas interdit de se poser la question de savoir si s’appesantir sur la victoire de Charles Martel à Poitiers ne contribue pas treize siècles plus tard à la défaite du vivre ensemble entre descendants des Francs et des «Sarrazins». Les faits restant les faits, il faut que «l’histoire ainsi tissée ait une ambition holistique, son but ultime consistant à raconter en parfaite impartialité l’aventure de toute l’humanité», conclut notre chercheur.

 


(1) François Durpaire et Béatrice Mabilon-Bonfils, Fatima bien moins notée que Marianne, Paris, Éditions de l’Aube, 2016, 144 p.