Dans les théâtres et les musées, la chasse aux «mahométans», aux «Maures», et aux «sauvages» est ouverte. Au nom de la bien-pensance et de la culpabilité post-coloniale, il convient d’épurer le vocabulaire jugé «raciste» des œuvres d’artistes.
Les artistes sont des visionnaires. Ainsi, l’immense peintre surréaliste belge Magritte nous assurait-il, dès 1928, que Ceci n’est pas une pipe, en représentant… une pipe. Quelle clairvoyance! Voilà quelques mois, le Centre culturel d’Uccle a programmé une pièce de théâtre adaptée d’un célèbre roman d’Agatha Christie, Devinez qui? Et, devinez quoi, le livre à succès en question n’est autre que Dix petits nègres. Qui l’eut cru? Pour ceux qui viendraient d’une autre planète, rappelons que mamie Agatha racontait dans cette intrigue au suspense haletant une succession d’assassinats sanguinolents, s’inspirant d’une célèbre comptine anglaise pour bambins, intitulée Dix petits nègres (1).
Mais voilà, la bien-pensance mâtinée d’autoflagellation et de culpabilité post-coloniale à la mode ont fait leur œuvre. Désormais, on ne doit plus dire «nègre», mais «personne de couleur» ou, mieux, « non-caucasien » (2). De même convient-il de bannir le terme «nain», par trop péjoratif, et d’y substituer «personne à la verticalité contrariée». «Et on ne dit plus “con”, on dit mal-comprenant», ajoutait Pierre Desproges. Vous comprenez?
Opération blanco au Rijksmuseum
Alors que le domaine culturel se devrait d’être un espace de libertés, se moquant des pudeurs et des précieuses ridicules, l’épidémie de politiquement correct s’y répand aussi sûrement que la vérole parmi le bas clergé. De nombreuses nouvelles victimes sont à déplorer au Rijksmuseum d’Amsterdam. Au sein de cet équivalent du Louvre aux Pays-Bas, une traque sans merci est engagée pour chasser les «nègre», «mahométan», «Maure», «nain» et autres «sauvages». Ainsi, les conservateurs du musée ont-ils dressé une liste de 23 mots «offensants» qui seront effacés des titres des œuvres et des cartels explicatifs qui les accompagnent. S’il faut faire disparaître ces espèces, c’est pour mieux protéger leurs dignes représentants et ne pas froisser leur susceptibilité. Ce louable projet, baptisé «Ajustements au sujet des terminologies colonialistes», a déjà permis d’épurer 8 000 pièces de toute connotation raciste. Encore 220 000 autres œuvres doivent encore être passées au blanco ou au blanc d’Espagne (pardon aux blancos et aux Espagnols).
«Autrefois, nous avions des mots offensants pour tout le monde. Les Africains, les Japonais, les Allemands… Nous nous sommes dit qu’en 2015, on ne s’adressait plus les uns aux autres sur ce ton-là», justifie Martine Gosselink, directrice du département d’histoire du Rijksmuseum. Abus de fumette batave décontractante? Que nenni! L’entreprise se veut des plus vertueuses. Exemple, le titre de la toile du peintre Simon Maris, Jeune Femme nègre, faisait un peu tache. «Elle pourrait être cubaine, surinamaise, nous n’avons aucun moyen de le savoir. Dans le doute, elle est simplement La jeune femme à l’éventail», a tranché la conservatrice. Reste que la donzelle semble quand même avoir abusé des séances d’UV (toutes nos excuses pour l’emploi du terme «donzelle», des associations féministes françaises venant d’obtenir que «demoiselle» ne soit plus utilisé sur les documents administratifs car «sexiste et discriminant». Désormais, c’est «madame, monsieur» et tant pis pour les damoiseaux grincheux).
Sus au racisme pâtissier!
Patrimoine culturel immatériel de l’humanité, selon l’Unesco, la gastronomie française est, elle aussi, rincée à l’eau de Javel. Plus possible, dans les boulangeries, de demander une «tête-de-nègre» pour le goûter. Ce biscuit sec enrobé de chocolat se nomme désormais «tête-au-chocolat», «arlequin» ou «boule choco». Il était grand temps que cesse l’odieux racisme pâtissier. Consciente de ses impérieux devoirs moraux envers les plus jeunes –et sur l’incitation pressante d’associations non caucasiennes–, la vénérable maison Haribo a cessé la production de bonbons à la réglisse, un peu trop non caucasiens pour être honnêtes.
En mai dernier, nous évoquions dans ces colonnes (EdL n°439), les nouvelles péripéties de Tintin en Amérique dont l’album est considéré comme insultant par des Indiens du Canada, après un procès intenté en Belgique contre Tintin au Congo, jugé dégradant et néo-colonialiste par des associations de personnes de couleur. Suggérons de gommer toute référence à «l’Empire jaune» dans l’œuvre d’Edgar P. Jacobs des aventures de Blake et Mortimer. Pékin pourrait se vexer et bombarder Bruxelles. C’est bien connu, les Chinois sont fourbes.
(1) Merci à Amélie Dogot, amie des Arts et belle plume d’Espace de libertés, d’avoir repéré cette cocasserie théâtrale.
(2) Dans le cas de la pièce Devinez qui?, les « petits nègres » ont été remplacés par… des chats, NDLR.