Dans la rue, dans les couloirs, à la télé, on les entend fuser quand passe une femme. Éloges? Compliments? Mots doux? Non, propos insultants! Car quand une femme se fait remarquer, ça peut voler très bas. Le CAL/Charleroi accueille «Salope! et autres noms d’oiselles», une très belle expo consacrée aux insultes envers les femmes et à celles qui en ont le plus fait les frais. À voir, que l’on soit dame-oiselle ou damoiseau, bien sûr!
Après le campus du Solbosch de l’ULB et le Théâtre de Poche –où elles faisaient écho à la pièce Plainte contre X– à Bruxelles, les «salopes» ont quitté la capitale de l’Europe pour prendre leurs quartiers dans la capitale du pays noir.
Le prototype des insultes
Mais au fait, pourquoi consacrer une exposition à ce mot, aussi gros et provocateur qu’il est? «Parce qu’il est un symbole, qu’il est chargé de sens contradictoires et qu’il peut servir à désigner des personnes selon l’angle de la beauté, du désir, du sexe, de l’intelligence, de la bêtise, de la duperie… Parce qu’il recouvre une histoire des pratiques sociales, culturelles et des imaginaires, des représentations, des fantasmes…», répond la commissaire de l’expo produite par ULB Culture. «De la Marie-Salope aux marches des salopes du monde entier, en passant par le manifeste des 343 salopes, c’est une histoire centrée sur la violence verbale sexiste –nous entendons ce terme comme tout dénigrement portant sur la dimension sexuée et sexuelle d’une personne– qui est condamnable en Belgique depuis le [3 août] 2014.»
Orchestrée par Laurence Rosier, qui n’est autre que l’auteure du Petit traité de l’insulte (1) édité par le CAL en 2009, l’installation –fleurie au moins autant que le langage qu’elle illustre et décortique– est consacrée à l’insulte au féminin et entend susciter chez le visiteur une réflexion sur les libertés, les normes et les règles du vivre ensemble. Ainsi que sur les discriminations, non seulement sexistes, mais aussi racistes et sociales. «Les insultes peuvent nous en dire beaucoup sur notre société», explique la commissaire.
Une expo scientifique, éducative et artistique
Au croisement des arts, de la linguistique et de la sociologie, l’expo revient sur l’histoire de six femmes tristement célèbres pour les flots d’insultes déversés sur elles: Marie-Antoinette, George Sand, Simone Veil, Margaret Tatcher, et plus récemment, Christiane Taubira et Nabila. Entre les panneaux explicatifs, les œuvres accrochent. On retient évidemment la couronne mortuaire d’Éric Pougeau –rendue célèbre par l’affiche de l’expo– et l’emblématique Jardin des salopes de Christophe Holemans, on se défrise les moustaches devant les portraits de femmes libres de Lara Herbinia, on oscille entre fascination et dégoût devant les dessins tentaculaires de Cécilia Jauniau ainsi que devant les croquis anatomiques de Tamina Beausoleil, on caresse du regard les œuvres chevelues de Sara Jùdice de Menezes, on applaudit les détournements queer de peintures devenues photos de François Harray et on s’émerveille devant les «poèmes volumes» de Martine Seguy, qui découpe la presse écrite pour créer de nouveaux champs sémantiques. On se décharge en écrivant l’injure qui nous a le plus blessé-e-s sur le mur de la honte, et on se pose enfin devant un florilège d’extraits cinématographiques où l’insulte sexiste prête à sourire et à rire, sans nous faire oublier sa gravité dans la vie réelle.
Au CAL/Charleroi, l’exposition «Salope! et autres noms d’oiselles» servira d’amorce à de nombreuses activités: des débats, bien sûr, qui pourront s’appuyer sur un corpus d’insultes attestées en français et des panneaux pointant des événements marquants liés à l’histoire des femmes; du décryptage des mécanismes psychiques et sociaux qui président à l’insulte, aussi, qui prendra pour point de départ ces insultes dont ont été affublées des femmes illustres ou médiatiques; une ouverture d’esprit, enfin, grâce aux œuvres présentées (objets détournés, dessins, photographies, sculptures…) qui proposent aux visiteurs des réponses à leurs questions, des façons de réagir aux insultes.
Et on tournera sept fois notre langue dans notre bouche avant de traiter une femme de «salope», de «blonde» ou d’ »hystérique ». N’est-ce pas, Laurette?
(1) Larence Rosier, Petit traité de l’insulte, Bruxelles, Espace de Libertés, coll. « Liberté j’écris ton nom », 2009, 96 p.