De la sévère Croatie aux permissifs Pays-Bas, l’Europe présente une mosaïque de législations qui promet un fameux casse-tête à ceux qui voudraient réglementer la prostitution au niveau continental. Plus troublant: les législations en vigueur n’obéissent pas nécessairement au clivage classique entre progressistes et conservateurs au pouvoir dans chaque pays.
Un peu partout, le débat entre abolitionnistes et réglementaristes rebondit régulièrement, avec son lot d’experts prônant, qui la pénalisation des clients, qui le confinement à des établissements ou quartiers réservés, tous s’accordant sur la nécessité de combattre sans relâche la traite des êtres humains. Le fait qu’on en fasse une question d’ordre moral n’arrange rien. Ainsi voit-on des situations paradoxales, voire hypocrites, où l’on peut vendre des services sexuels mais pas les acheter, où la prostitution est autorisée mais le racolage interdit, etc.
Où la prostitution est permise
L’Estonie autorise la prostitution dès 18 ans mais interdit les maisons closes. En Suisse, la prostitution est considérée comme une activité économique à part entière, autorisée à partir de seize ans. Elle est légale en Grèce et se pratique dans un cadre réglementé; les maisons closes doivent être contrôlées et répertoriées.
De son côté, la Lettonie est considérée comme l’eldorado de la prostitution européenne; les professionnels du sexe doivent s’y soumettre à un contrôle médical régulier pour disposer d’une autorisation que le client a le droit d’exiger…
Dans la très réactionnaire Hongrie, on peut pratiquer le métier du sexe moyennant un permis. Pas de bordels ni de racolage, quand même. Les professionnels de la chose payent des impôts. Les clients peuvent même demander un reçu. Pour se faire rembourser en notes de frais? Les taxes perçues par l’État s’élèveraient à un milliard de dollars par an.
L’Autriche est relativement permissive. Les prostitué-e-s doivent être déclaré-e-s et sont obligatoirement suivi-e-s médicalement sur une base hebdomadaire. Le racolage est interdit dans les quartiers résidentiels, mais toléré dans d’autres zones bien délimitées. Au moins les choses sont claires.
Où les travailleurs du sexe bénéficient (plus ou moins) d’un statut
Les Pays-Bas sont le seul pays européen qui offre un statut juridique aux professionnels du sexe. La compétence de régulation est du ressort des communes; il en résulte un afflux de prostituées vers les communes les plus libérales. Cela dit, le modèle de libéralisation totale lancé par Wim Kok en 2000 est de plus en plus critiqué pour son incapacité à juguler la traite des êtres humains.
Les Pays-Bas sont le seul pays européen qui offre un statut juridique aux professionnels du sexe.
En Allemagne, l’exercice de la prostitution est légal et régulé depuis 2002. On connaît l’existence des fameux «Eros Centers», sorte de maisons closes pour indépendantes. Aux yeux de la loi, les prostituées sont des travailleuses comme les autres: elles paient leurs impôts et bénéficient d’une assurance-chômage et d’une couverture santé. Mais il semblerait que sur 400 000 professionnelles, seules quelques dizaines soient en règle…
La situation du Danemark est comparable à celle de l’Allemagne. Les prostituées paient des impôts et jouissent des mêmes prestations sociales que les autres citoyens mais la profession n’étant pas reconnue, elles ne bénéficient pas de congés maladie ni de congés payés.
Où l’on poursuit les clients
La Suède est le premier pays européen à avoir criminalisé le client, et ce dès 1999. Aux termes de cette loi, la prostitution n’est pas illégale mais l’achat d’un acte sexuel, lui, l’est bel et bien. Le client risque une lourde amende et encourt un an de prison. La philosophie de cette législation est que les prostituées sont des victimes. Officiellement, les chiffres de la prostitution ont baissé significativement, mais ils ne prennent pas en compte la pratique souterraine…
La Suède est le premier pays européen à avoir criminalisé le client.
En Norvège, la législation mise en place en 2009 est comparable à celle du voisin suédois. C’est l’achat de services sexuels qui est sanctionné d’une peine allant jusqu’à six mois de prison et d’une amende. Particularité de la loi: les Norvégiens qui s’offriraient des services sexuels à l’étranger peuvent être sanctionnés dans leur pays. On ignore comment la justice norvégienne s’en informe…
Où l’on interdit le racolage et/ou l’exploitation
La France a rétabli, l’an dernier, le délit de racolage jadis abrogé. La prostitution y est donc autorisée, mais en toute discrétion. Couvrez ce sein… Par contre, on discute toujours au Parlement d’une loi pénalisant les clients, initialement adoptée en 2013 mais mise au placard depuis par le Sénat. Au pays des courtisanes, il reste bien des tabous!
Au Royaume-Uni, la prostitution est autorisée mais la loi interdit également le racolage et le proxénétisme. Depuis 2010, en Angleterre et au Pays de Galles, une loi punit tout acte sexuel acheté à des personnes se prostituant «sous la contrainte». Mais comment le savoir? En Écosse, la loi est plus contraignante mais aussi plus sujette à discussion: le simple fait de «solliciter une personne prostituée dans un lieu public» ou de «rôder dans les rues» dans un but sexuel est considéré comme un acte criminel passible d’une amende de 1500 euros.
Dans l’Irlande catholique, la prostitution est autorisée, mais le racolage, le proxénétisme et les bordels sont interdits. Une loi est en cours de discussion pour pénaliser les clients.
En Finlande, la prostitution est autorisée mais elle ne peut pas se voir. Les professionnels du sexe se font connaître par Internet et opèrent dans des clubs privés ou des salons de massage.
L’Italie a fermé ses bordels en 1958. Depuis, la prostitution n’est pas illégale, mais la loi interdit toutefois la prostitution organisée ou le proxénétisme. Les prostituées ne bénéficient d’aucun statut. En 2008, le gouvernement a approuvé une proposition de loi visant interdire la prostitution dans les rues.
L’Espagne, où l’Église traque de près l’avortement, autorise la prostitution dans les maisons closes depuis 2002, mais l’interdit dans la rue. Dans cet univers caché, il est donc extrêmement difficile de veiller à ce que les prostituées ne soient pas exploitées par les propriétaires d’établissements.
En Slovaquie, c’est le règne des «salons de massage» ouverts en toute visibilité. Par contre, les travailleurs n’y jouissent d’aucune protection sociale. Proxénétisme et bordels sont interdits. Mais qu’est-ce qui distingue un salon de massage d’un bordel?
La Bulgarie, quant à elle, ne mentionne nulle part la prostitution de façon directe dans la loi, qui interdit seulement le racolage et le proxénétisme. Elle est donc autorisée de fait.
Où règne un flou juridique
Au Portugal, on ne recense ni interdiction ni règle précise. Si la prostitution y est décriminalisée depuis 1983, elle n’a pas pour autant offert de statut aux travailleurs du sexe: ils ou elles ne sont protégés ni par une loi, ni par quelque disposition sociale ou sanitaire.
En Pologne, pays où les ultraconservateurs viennent de reprendre les rênes du pouvoir, les professionnels du sexe peuvent travailler mais comme ils ne payent pas d’impôts, ils ne bénéficient d’aucune protection ni avantage social.
En République tchèque, la prostitution n’est pas considérée comme une activité économique au sens classique; toutefois, les prostitué-e-s y payent des impôts et se soumettent à des consultations médicales régulières dont dépend leur autorisation d’exercer.
En Slovénie, la prostitution reste illégale bien qu’elle soit décriminalisée depuis 2003. Les clients ne risquent rien.
Où la prostitution est purement et simplement interdite
La Lituanie interdit totalement la prostitution et ses corollaires, le proxénétisme et les maisons closes.
En Roumanie, la prostitution est également interdite, sous peine de prison d’une durée allant de 3 mois à 3 ans. Il existe un débat sur une éventuelle légalisation afin de combattre la traite, mais l’Église s’y oppose. On se demande bien pourquoi.
Enfin, on ne plaisante pas en Croatie! La prostitution est interdite sous peine d’amende et le proxénétisme, un crime. Les clients, par contre, n’encourent rien. Donc, on ne peut pas vendre mais on peut acheter.
Bien que l’Europe ne soit pas connue pour être une destination de tourisme sexuel, les voyageurs en quête d’un réconfort occasionnel auront tout intérêt à se munir du présent article s’ils veulent éviter les mauvaises surprises. De toute façon, en matière de liaisons tarifées, les transgresseurs ont toujours une longueur d’avance sur les gendarmes et tout reste possible. Quoi qu’il en soit, sortez couverts!