Espace de libertés – Mars 2016

Les MENA, entre urgence et long terme


Libres ensemble
Le terme générique et technique MENA est supposé représenter les réalités et les parcours divers des mineurs étrangers non accompagnés… Terme (trop) abstrait pour correspondre au vécu réel de ces enfants qui ont la particularité d’être mineurs, de se retrouver sans parent ou tuteur, en dehors de leur pays d’origine et d’avoir souvent vécu un long parcours (violent) de migration et d’exil. Terme juridique aussi, supposé rappeler à toutes nos autorités et institutions qu’ils ont besoin d’être protégés, représentés légalement et accompagnés.

Trois mille nonante-neuf, c’est le nombre d’enfants seuls qui ont introduit une demande d’asile en 2015 en Belgique. Un nombre jamais atteint dans l’histoire belge. Ils viennent principalement d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, de Somalie et de Guinée. Ils fuient l’enrôlement militaire, les bombes, les mutilations génitales et bien d’autres traitements inhumains. Cinq mille quarante-sept, c’est le nombre des nouvelles arrivées de MENA, tous statuts confondus, en 2015 (1). À titre de comparaison, il y avait eu 1 732 nouvelles arri­vées de MENA en 2014. Ceux qui font des demandes d’asile fuient d’autres réalités : les violences familiales (physiques et sexuelles), la vie de la rue… tandis que certains arrivent via des réseaux de traite des êtres humains (2).

La reconnaissance, et après ?

Les MENA qui font une demande d’asile ont des taux de reconnaissance élevés : 69% en moyenne se voient accorder l’asile, et ce chiffre grimpe à 93% pour certaines nationalités, comme les Syriens (3). Les persécutions subies par ces enfants sont donc connues et reconnues. Les MENA qui arrivent aujourd’hui présentent des profils de vulnérabilité extrême. Ils arrivent de plus en plus jeunes. On assiste à une augmentation des MENA de moins de 12 ans et surtout des 12 à 14 ans. On constate également une progression importante des MENA présentant des traumatismes multiples. Nombre d’entre eux ont connu des violences extrêmes dans leurs pays d’origine mais également en cours de route. Plusieurs ont été exploités, maltraités et/ou ont perdu des membres de leur famille au cours de leur parcours migratoire. Selon les estimations des experts de première ligne, 22% des MENA sont diagnostiqués comme porteurs de « vulnérabilités spécifiques » (4) dans les premières semaines suivant leur arrivée.

Les besoins de protection n’ont jamais été aussi aigus et les défis jamais aussi multiples et complexes. La difficulté ne vient pas tant de notre législation, qui prévoit déjà beaucoup de garanties, que de l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour s’assurer que le futur de ces enfants soit aussi important que celui de n’importe quel autre enfant. Certes, l’arrivée d’un tel nombre de mineurs n’était pas entièrement prévisible. Il importe néanmoins d’être très attentif à ce qu’une crise conjoncturelle et imprévue ne devienne pas une crise structurelle intégrant des pratiques dommageables pour ces enfants dans leur quotidien ou dans la législation.

Éviter la rue

Une jeunesse sur de bons rails si on la prend par la main. © DR SOS-Village EnfantsPour un mineur non accompagné, l’accueil est un droit inconditionnel. C’est le lieu (en principe) où un jeune va pouvoir réapprendre à dormir dans un lit et à se sentir en sécurité. Le lieu où il va découvrir les habitudes de ce nouveau pays dans lequel il est arrivé et commencer à y tisser des liens. C’est aussi le lieu où il va pouvoir accéder aux soins (physiques et de santé mentale) et où il va tenter de comprendre les procédures administratives (de séjour et autres) qui l’attendent. Or, il y a un manque de places spécifiques et adaptées aux besoins des MENA à tous les niveaux : au fédéral (Fedasil), dans les communautés (aide à la jeunesse/jongerenwelzijn), au niveau des initiatives locales d’accueil gérées par les CPAS et sur le marché du logement privé (pour les MENA vivant en autonomie). Pour pouvoir accueillir tous ces enfants, les autorités belges devront créer 2000 places dans les mois qui viennent. Si aucune place n’est créée, les MENA se verront contraints de vivre dans la rue, dans le dénuement le plus complet ou dans des lieux d’accueil pour adultes absolument inadaptés à leurs besoins (ce qui est déjà le cas).

Sans parent(s), il faut que ces jeunes aient une personne qui puisse les représenter légalement et agir en tant que fil rouge au cours de leur parcours en Belgique. Cette personne fondamentale est le tuteur. Le tuteur sera présent lors de toutes les procédures, s’assurera que le mineur a accès à une scolarité, aux soins nécessaires, à un avocat… Or 900 MENA attendent toujours la désignation de leur tuteur. Les délais moyens pour la désignation d’un tuteur sont actuellement de 3 mois. Autant de mois où toutes les procédures (et certains droits) sont en suspens. Plus le jeune s’approche de la majorité, moins il aura la chance d’être accompagné par un tuteur. Pour couronner le tout, on constate un manque flagrant d’interprètes (acteurs fondamentaux pour assurer la communication et la qualité du déroulement des procédures) et de psychologues (d’autant plus nécessaires vu les profils très fragilisés des jeunes arrivant actuellement). Tout l’accompagnement et la protection des MENA sont mis en danger. Ceci aura d’énormes répercussions sur tout leur parcours, leur intégration dans notre société et, finalement, sur la société que nous souhaitons construire ensemble.

 


(1) Chiffres du Service des tutelles.

(2) La traite des êtres humains est définie comme étant « le fait de recruter, transporter, héberger ou accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle dans un but d’exploitation ».

(3) Commissariat général aux réfugiés et apatrides.

(4) Parce que très jeunes, victimes potentielles de traite des êtres humains, souffrant de problèmes psychologiques, de traumas multiples…