Oui, une fille de joies, comme on dit. Bon, c’est pas la joie mais ça paie, ça le fait, pas le choix. Enfin moi, j’en ai pas eu tant que ça mais ça va. Prise entre les lumières par derrière et les barrières d’autoroutes, dans une soute, je suis quelqu’un. Ici, c’est moi. Plus loin, c’est une autre. Des Sainte Nitouche, des Marie-couche-toi-là, des Marie-Madeleines, des Mère Térésa. C’est comme un chemin de croix, sang et stupre et bandes d’arrêt d’urgences. Extases et préjudices.
Les Jésus et les Judas ? Eux, ce sont des hommes qui conduisent longtemps. Leurs corps raidis par la route, la monotonie de la conduite. Sont seuls, eux aussi. Nos corps se trouvent sans comprendre. On s’imbrique, on s’emboîte… surtout, on se touche, je les touche. Une caresse suffit sa peine, parfois. Quand ils jouissent (pas tout le temps), je compare leur bruit à un morceau de musique à la radio, une chanson rabâchée ou le tube de l’été…
La plupart du temps, c’est du silence, de l’attente jusqu’à l’accroche… Surtout de l’attente et un poisson broché ou deux par jour. Une routine toute la semaine, jusqu’au week-end où c’est bonus : là, c’est tout de suite six ou sept, et du gros. Mais sinon, du coup, j’attends beaucoup et je chante beaucoup entre deux moments, ça coupe le froid et la solitude.
Bon, j’ai eu des coups de cœur, j’ai même eu des ventres ronds. Quelques fois, j’ai bien failli décrocher, m’rhabiller… C’est l’cas de le dire, retourner ma veste… bref. Mais je suis pas à la terre, ni à l’eau, je suis une fille de l’air, une hôtesse de l’air, de l’aire d’autoroute… Hahaha, elle est bonne celle-là. J’pourrais pas bosser dans une ferme, à la poste, dans un bar. J’ai de la chance… Ici j’appartiens à personne, à rien non plus, sauf à la route, à ses trous, à ses cailloux.
Ce texte issu d’une série sur le thème de la route (dans le cadre de l’exposition « On the road » aux ateliers Mommen en septembre 2015) et rend hommage à Florence (Minnesota), à Pupu Nomphumelelo (Mozambique) et à Maria Victoria (Équateur).