Espace de libertés | Décembre 2018 (n° 474)

Coup de pholie

Savez-vous comment, au temps jadis, on disait «étranger»? Barbare. Au moins, c’était clair. À l’époque où les continents se divisaient entre colons et colonisés, lorsque notre lourd fardeau consistait à civiliser les primitifs, là aussi c’était clair. Mais depuis lors, le monde est devenu compliqué et de subtiles nuances encombrent notre amnésie. Aux colons succédèrent les émigrés, genre «les Belges du bout du monde». Vinrent aussi les immigrés, ceux qu’en des temps fortunés nous embauchâmes pour descendre dans nos mines tuberculeuses. Il y a désormais les migrants qui fuient la misère ou la guerre pour trouver cette place au soleil, fût-il belge. À ne pas confondre avec les transmigrants qui ne font que passer. Comment ne pas rejeter à l’eau tous ces expatriés-réfugiés-allochtones qui se noient?

Ma dernière promenade à vélo, pendant laquelle je cogitais à cet épineux problème d’autochtones 100% purs belges et de métèques allogènes, me conduisit sur les bords du Nil. Vous aurez reconnu le célèbre affluent du non moins célèbre Orne, lui-même affluent de la Dyle qui se jette dans l’Escaut. Tel est le destin de ce petit Nil-là: aboutir à la mer du Nord et devenir ainsi atlantique, océanique, mondial. Je me trouvais donc à Nil-Saint-Vincent qui n’est autre que le centre géographique de notre plat pays. Un socle où, pendant un instant, on se met à rêvasser. Ah, la Belgique! Coincée entre ses collines ardennaises et ses plages flamandes, divisée comme pas deux mais faisant quand même couple à trois, elle devrait se replonger dans son passé. Oh, on ne lui demande pas de remonter jusqu’aux temps celtiques de la Gaule. En des temps pas si éloignés que cela, elle fut bourguignonne, espagnole, autrichienne, française, hollandaise… Née en 1830, hier, elle devint puissante et richissime grâce à l’exploitation éhontée du Congo et à une rapide industrialisation. Il faudrait cependant être malvoyant pour y déceler une once de nation unie. Le schisme lui travaille corps et âme depuis belle lurette. Le divorce souhaité par le Nord semble inévitable, sinon imminent. Et c’est ce même confetti de royaume en instance de séparation pour cause de mésentente ethnique qui rechigne à accueillir quelques malheureux réfugiés. Le sinistre, heu pardon, je voulais dire le ministre, l’a dit: faut tous les boucler dans des centres fermés qui incitent au suicide par pendaison en cellule. Éconduisons l’altérité, fermons nos portes et surtout n’écornons pas notre PNB en nous montrant trop accueillants. Dura lex, sed lex, disait-on à l’époque où l’étranger était un barbare.