Espace de libertés | Décembre 2018 (n° 474)

Culture

Non sans une petite dose d’audace, l’ULB consacre son expo d’automne à la pornographie via une approche artistique, historique et ludique. C’est chaud… comme une chatte sur un toit brûlant.


Le visuel de promo est alléchant et dès l’entrée, on en prend plein les yeux, avec cette grande affiche de film porno au titre détournant un classique du 7e art – avec toute la subtilité que l’on connaît au genre. Des photos, des dessins, des tétons en porcelaine, une Origine du monde qui n’a pas fini de scandaliser, un Déjeuner sur l’herbe version porno-pointilliste, des compositions, des sculptures, des moulages et des bruitages sans équivoque. Et même un livre de coloriage qui n’a rien d’enfantin. Partout, des corps et des organes sens dessus (et sans) dessous. Fantasmes, pratiques sexuelles, masturbation, place et réappropriation de la femme a fortiori racisée, conformisme et subversion… il ne manque aucune des truculentes et parfois peu reluisantes facettes de la pornographie. Ponctué d’extraits de littératures érotiques et de «X» rouges qui soulèvent des questions restant parfois volontairement sans réponse, le parcours mène à une salle de projection comme on n’en fait plus. «Mais pas de back room ici!», lance en riant Laurence Rosier, linguiste et co-commissaire de l’expo, à des étudiants venus en groupe entre deux cours.

Fruit autorisé et industrie juteuse

Des salles de cinéma porno des années 1970 aux vidéos amateurs téléchargées et visionnées sur tablette perso en passant par les films cryptés du samedi soir sur Canal +, les photographies «coquines» argentiques de la fin du XIXe siècle, les frasques de la Cicciolina et le fauteuil en rotin devenu mythique, il ne manque rien. Pas même les posters centraux de Play Boy. L’homme n’a jamais manqué d’imagination en matière de stimuli érotiques. «Transgressive, la pornographie interroge les frontières entre espace public et intime, entre le visible et l’invisible, entre le dicible et le tabou. Conservatrice, elle continue de reproduire les pires stéréotypes de la domination masculine blanche hétéronormée.»

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Avec la Cicciolina, l’actrice porno prend son droit à la parole dans l’arène politique.

C’est sur ces constats que Laurence Rosier, Valérie Piette et Jean-Didier Bergilez, tous trois membres de la Structure de recherche interdisciplinaire sur le genre (STRIGES), attachée à la Maison des sciences humaines de l’ULB, sont partis. Et sur les interrogations des acteurs et actrices de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelles (ÉVRAS), à qui les parents souvent gênés remettent, non sans soulagement, la tâche ô combien touchy de rectifier le tir quand le porno a déjà ancré bien des images et des pratiques dans les esprits des ados bouillonnant d’hormones.

Le mythe de la jeunesse en perdition

Car on l’accuse de tous les maux, ce porno en accès libre qui pervertirait la jeunesse rivée à ses écrans. «On lui reproche une influence néfaste sur la construction de la sexualité chez les jeunes», explique Laurence Rosier. «Avec les parents, c’est souvent compliqué de parler de sexe. Les centres de planning misent plutôt sur la prévention. Nous avons opté pour la médiation par l’art.» De par son contenu «sexplicite», l’EXPOrno est interdite au moins de 16 ans. Pas de visites scolaires donc mais 250 visiteurs et visiteuses se succèdent tous les jours en flux continu.

Présente sur place pendant les heures d’ouverture, la commissaire le constate de ses propres yeux et raconte avec malice: «Les étudiants viennent en petit groupe, ils gloussent, repartent… et puis reviennent seuls et reste plus longuement.» L’enjeu est surtout de mettre des mots sur ces images «à vocation excitatoire»: «En déconstruisant la pornographie, cette expo se veut prétexte à une discussion lucide, spontanée, décomplexée. Libre en somme.»

Autre constat posé d’emblée: «Le porno mainstream, reflet de notre société, est devenu l’objet de critiques provenant des milieux féministes, LGBTQI++, des courants issus du post-colonialisme. Ces différents mouvements ont permis l’essor de nouvelles formes.» Est-il juste pour autant de qualifier la démarche de féministe prosexe? Pas forcément, la volonté étant plutôt de plonger dans l’histoire, les conventions, les normes et la construction de l’imaginaire érotique, objet de désir et désormais de porn studies.