Espace de libertés | Décembre 2018 (n° 474)

Culture

Auréolé de nombreux prix, «Les Chatouilles», d’Andréa Bescond, réussit son passage sur grand écran. Olivier Blin, directeur du Théâtre de Poche qui a programmé la pièce, et Karin Viard qui campe la mère de l’héroïne au cinéma, nous expliquent pourquoi l’œuvre est à la fois bouleversante et nécessaire.


Il est des thèmes plus délicats, plus difficiles, à aborder que d’autres. L’abus sexuel des enfants en fait partie… Avec Les Chatouilles ou la danse de la colère, la comédienne et danseuse Andréa Bescond et le metteur en scène Éric Métayer ont réussi le pari de créer une œuvre majeure, à la fois bouleversante, glaçante, vivante et même parfois drôle, autour du parcours d’une fillette qui, violée régulièrement par un ami de la famille alors qu’elle avait à peine huit ans, parviendra malgré tout à grandir, à se construire et à se révolter. Multirécompensé, le seule-en-scène – porté alors par Andréa Bescond, qui s’est inspirée de sa propre histoire – a beaucoup tourné. Chez nous entre autres, où il fut joué à guichets fermés au Théâtre de Poche, à Bruxelles. Olivier Blin, son directeur, nous en parle avec émotion: «Le Poche est plus un théâtre de création, il faut vraiment qu’il se passe quelque chose de particulier pour qu’on accueille une pièce existante. Ce fut le cas avec “Les Chatouilles” que j’ai découvert lors d’un voyage à la Réunion. J’avais croisé Andréa Bescond dans l’avion, qui m’avait dit qu’elle présentait un spectacle autour des abus sexuels. Un thème que j’avais déjà souvent vu développé au théâtre. Au Poche, on a produit beaucoup de pièces dessus. Notamment dans la foulée de l’affaire Dutroux… Je suis pourtant allé la voir jouer, un matin, dans une école. Et là, la claque… Cela m’a touché, ça m’a fait pleurer, mais d’empathie et non de colère. J’ai été troublé, énormément, longtemps. J’ai voulu partager cette émotion ensuite. On a donc programmé la pièce chez nous. Et les réactions ont été unanimes. C’est vraiment un spectacle d’intérêt général, que l’on a notamment montré à un jeune public assez large. J’ai hâte d’en voir l’adaptation au cinéma.»

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Pourquoi Odette se méfierait d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ?

Des planches à l’écran

Le film justement, sortira chez nous en janvier prochain. Mais il fut présenté en avant-première au festival de Namur où nous avons rencontré la comédienne Karin Viard, qui campe la mère de l’héroïne. «C’est un personnage atroce, comme j’en ai rarement autant détesté», nous avoue-t-elle. «Chaque scène où elle apparaît est extrêmement violente, féroce, cruelle… C’était intéressant pour moi de jouer une femme comme cela. Et de la jouer comme cela, avec une espèce de détachement. Humainement, cette femme est une m…, qui a peur du qu’en-dira-t-on», au point de ne pas soutenir sa fille quand celle-ci lui révèle l’horreur de ce qu’elle a traversé. «La peur du qu’en-dira-t-on est pour moi, un des pires sentiments qui soient!» poursuit l’actrice. «Il provoque tellement de tragédies. J’avais adoré le spectacle d’Andréa Bescond, et je voulais absolument faire partie de l’aventure au cinéma. Le film ne trahit pas du tout l’esprit de la pièce, Andréa et Éric l’ont portée à l’écran avec une grande intelligence. C’est un film nécessaire, qui doit être vu par le plus grand nombre, qui doit être diffusé dans les écoles, que les parents doivent voir avec leurs enfants. Pour moi, jouer dans ce film, c’est aussi une démarche militante, mue par la volonté de servir cette cause. Si ma popularité peut attirer des gens dans les salles, autant qu’elle serve pour défendre un sujet comme celui-là.»

Changer par la culture

Une œuvre comme acte de militantisme, Olivier Blin abonde dans le même sens: «Avec les moteurs militants comme les manifestations, les débats, c’est devenu parfois compliqué de faire passer le message… Avec l’émotion, on y parvient; la Culture de manière générale doit servir à provoquer le militantisme, le questionnement, l’engagement. Et cette œuvre en particulier y parvient, sans tactique, justement parce qu’elle génère de l’émotion pure. Elle change tous les gens qui la voient!»

En tournant dans les théâtres, la pièce a d’ailleurs aidé à libérer la parole de nombreux spectateurs. Andréa Bescond a, depuis la création de sa pièce, reçu des centaines de lettres de la part de jeunes, mais aussi de moins jeunes, qui avaient occulté des épisodes douloureux et ont enfin eu le courage, voire la force, de s’exprimer. Et parce que le film s’inscrit parfaitement dans sa lignée, on ne peut qu’espérer que le message en touchera bien plus encore dès sa sortie.