Espace de libertés | Décembre 2018 (n° 474)

Culture

La Cité Miroir accueille les 160 clichés du prix World Press Photo. Des clichés souvent empreints d’une funeste beauté qui en disent long sur l’état du monde.


Le prix World Press Photo récompense des photographes professionnels pour leurs meilleurs clichés de l’année précédente. Choisies pour leur justesse et le message qu’elles délivrent, beaucoup de photos lauréates sont devenues des icônes. Notamment celle de l’étudiant chinois défiant un char place Tian’anmen. L’exposition liégeoise présentée par les Territoires de la Mémoire, nous replonge dans la guerre en Syrie, le massacre des Rohingyas au Myanmar ou encore les manifestations au Venezuela.

Naissance d’un mythe

C’est en 1955 qu’un groupe de photographes néerlandais lance ce concours dans le but de montrer leur travail à un public international. Depuis, la World Press Photo Fondation a acquis une renommée mondiale. Cette année, elle a eu à choisir parmi plus de 73 000 photos prises par quelque 4 500 photographes de 125 pays. «Nous avons une seconde pour juger un cliché, ce qui est très difficile», explique Sophie Boshouwers, commissaire de l’exposition. «Nous classons les lauréats dans six catégories: nature, sport, infos générales, spot news, projets à long terme, sujets contemporains ou protagonistes de l’actualité. Nous ouvrons le champ au Digital Story Telling depuis l’année dernière. Le prix évolue en même temps que la profession.»

Pour la crédibilité du prix, il faut que la représentation du monde soit exacte mais aussi que le photographe se plie à un certain nombre de règles éthiques: «Nous devons déceler la qualité esthétique des clichés, un point de vue original mais aussi sa valeur symbolique et éthique», poursuit la commissaire. «Pour cette 61e édition, le jury a récompensé le cliché du photographe vénézuélien Ronald Schemidt montrant Victor Salazar Balda, 28 ans, dévoré par les flammes alors qu’il participait aux manifestations contre le président Maduro à Caracas. Toute la force de cette photo est dans le symbole qu’elle représente: elle montre que c’est le Venezuela qui est en train de brûler.»

Éthique et vocabulaire visuel

À une époque où la presse est victime d’une perte de confiance, ce concours aborde les questions éthiques et surtout celle de la manipulation. Il est donc primordial, selon Sophie Boshouwers, de la faire circuler à travers le monde pour que la force d’un tel journalisme puisse réveiller les consciences. «On dit souvent qu’une photo vaut mille mots. Je pense plutôt qu’il faut mille mots pour expliquer une photo. L’exposition voyage chaque année dans 45 pays et est visitée par près de 4 millions de visiteurs. J’aime savoir comment les gens ont compris les images. Prenez par exemple le reportage d’Heba Khamis, au Cameroun, sur le repassage des seins des jeunes filles à la pierre brûlante. Cette tradition peut paraître barbare mais c’est un acte d’amour de la part des mères pour éviter le viol de leurs filles.»

Banned Beauty
Mutilation ou acte d’amour ? Une photo pour comprendre la réalité des mères célibataires et de leurs filles au Cameroun. © Heba Khamis

Peut-on prendre une «belle» photo pour montrer l’horreur? Peut-on photographier plutôt que porter secours? Ouvrir le débat est essentiel et c’est dans cette optique que les Territoires de la Mémoire ont organisé cette exposition: pour interroger la réalité d’aujourd’hui avec ses conflits, ses injustices sociales mais aussi la solidarité et son humanité. «Nous voulions effectuer un travail de mémoire», explique Philippe Marchal, directeur adjoint. «Apprendre à décoder. Réfléchir pour s’indigner et résister. Pour les 25 ans de notre association, c’est une belle façon de fêter l’éducation à la citoyenneté en donnant des outils au public et notamment aux jeunes à partir de 12 ans, avec lesquels nous programmons des animations.»

On note par contre avec regret la faible représentation féminine, à peine 2%. «À cause de difficultés financières, la presse fait moins appel aux photographes qu’avant et les rédacteurs en chef envoient moins de femmes sur le terrain. En outre, doutant plus d’elles-mêmes, elles se présentent moins aux concours», ajoute Sophie Boshouwers.

Si son travail respecte l’éthique, le journaliste est un «historien de l’instant». Mais cela ne doit pas empêcher les citoyens d’affûter leur sens critique et leur réflexion.